L'Âne et son Maître Jean-Louis Aubert (1731 - 1814)

Un Âne des plus sots prétendaoit faire accroire
Que sa cervelle était un trésor de bon sens.
On en parlerait dans l'histoire.
Les Dieux avaient sué vingt ans
Pour former les ressorts qui jouaient là-dedans.
Raison, sagesse, esprit, mémoire,
Il avait tout en un degré parfait.
Si l'avenir regrette un Socrate Baudet,
La race des Baudets lui devra cette gloire.
Le galant enivré de cet orgueil si vain,
Résistant un jour à son Maître,
Refusa d'aller au moulin.
Cet emploi dégradait son être :
Le beau métier pour un Caton !
Ha ! je trouve celui-là bon ;
Dit Gros-Jean le Meunier. Et que prétends-tu faire ?
Penaer, reprit l'Aliboron :
Je ne veux plus déformais d'autre affaire.
Faites porter vos facs à quelque Ane vulgaire ;
Et respectez un Sage comme moi.
Le bon homme se tût. Quelle mouche le pique,
Disait-il en lui-même ? il est fou sur ma foi :
Gros-Jean, la tête tourne à ta pauvre Bourrique.
Ce mal lui vient je ne sais d'où.
Laissons-la penser tout son fou ;
Et cependant retranchons sa pitance.
Ce parti n'était pas trop sot pour un Meunier.
L'Ane bientôt se lassa d'un métier
Qui ne remplissait pas sa panse.
Il se plaignit. Gros-Jean tout aussitôt
Lui dit : Impertinente bête,
Me prends-tu pour un idiot ?
Quel fruit me revient-il des rêves de ta tête ?
Porte ton bât, travaille, et l'on te nourrira.

Tout en irait mieux sur la terre
Si chacun se bornait à faire
Le métier pour lequel Jupiter l'appela.

Livre II, fable 14




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