Le Chien d'un Poète et la Chatte d'un Abbé Jean-Louis Aubert (1731 - 1814)

Un Chien avait la table et le lit d'un Poète.
De dire s'il faisait de somptueux repas,
A parler franchement, je ne le pense pas.
Je garde le silence aussi sur la couchette :
De lits de plume et de mets délicats.
(a) Auteurs et Chiens, dit-on, font rarement emplette.
L'animal cependant, (je veux parler du Chien,)
En son taudis natal se trouvait assez bien.
Il y vécut toujours comme un Anachorète :
Va-t-il s'imaginer qu'on peut devenir gras,
Ni que dans l'univers il soit une retraite
Plus belle que le galetas
Où logeaient près du toit notre Auteur et ses rats ?
Là tout était en proie aux traits de la satyre :
Des Souverains fut-tout il l'entendait médire,
Vanter l'art de rimer, se dire enfant des Dieux.
Le galant là-dessus se forge une chimère :
Si son Maître jamais s'en retournait aux cieux,
Sans doute que lui, Chien, dans la céleste sphère
Occupant un rang glorieux,
Il verrait sous ses pieds tous les Chiens de la terre.
Ainsi, tel que l'Auteur, au sein de la misère,
Ce crasseux animal était présomptueux.
Certaine Chatte un jour vint lui rendre visite.
D'un gros Abbé vermeil très digne favorite,
Elle était ronde d'embonpoint.
Il lui fit un accueil conforme à son mérite.
La dame cependant ne s'en contenta point :
Mais en Chatte bien née, elle eut la retenue
De se déguiser sur ce point.
Tout choquait dans ces lieux sa délicate vue.
Une cruche égueulée, une chaise rompue ;
Pour murs quelques vieilles cloisons
Et pour feu, deux méchants tisons :
Elle aimerait autant loger en pleine rue.
C'était un dégoût bien fondé
Dans une dame entretenue
Par un dévotieux Abbé.
Bonne table, bon feu, bon lit, enfin que fais-je !
La commère avait tout en la maison du Saint.
Quand du jour cependant le flambeau fut éteint,
Et que, pour s'en aller, elle leva le siège,
Quel propos croyez - vous que son hôte lui tint ?
Il s'imagina faire à cette Chatte honnête,
Pour prix de sa visite, un compliment flatteur,
En souhaitant de tout son cœur
Qu'elle pût être un jour sous les lois d'un Poète.

Dв ce qui tient à nous soyons moins éblouis.
La moitié des humains croit valoir mieux que l'autre.
Notre pays natal est le plus beau pays ;
Le plus puissant Roi, c'est le nôtre.

Livre II, fable 13




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