L'un portant l'autre, un âne et son maître à la foire
S'en allaient un matin ; à ce que dit l'histoire.,-
Le couple arrive près d'un bois.
Qu'il avait traversé déjà -plus de cent fois,
Pendant le jour où la nuit noire,
Quand tout à coup messire Aliboron,
Au grand étonnement de son maître, s'arrête.
L'homme met pied à terre en levant son bâton,
Et sans ménagement en caresse là bête ;
Mais celle-ci ne veut en faire qu'à sa tête,
Jure de n'en démordre pas.
Malgré les coups elle tient ferme,
Et n'avance point d'un seul pas.
A cet entêtement il fallait mettre un terme,
Et l'honneur en revint à certain villageois,
Qui, par hasard, débouchait dudit bois
Avec Jeanne sa ménagère.
Il prend l'âne à la queue et le tire en arrière :
« Ah ! oui-dà ! l'on voudrait, se dit notre mutin,
Me faire rebrousser chemin !...
Je vous tire ma révérence. »
Ayant ainsi pensé, dans le bois il s'élance,
Puis au grand trot arpente le terrain.
Je sais beaucoup de gens, dit le mari de Jeanne,
Qui ressemblent fort à cet âne
Veut-on que ces gens-là répondent à nos vœux ?
Comme on les voit toujours portés par caractère
A faire juste le contraire
De ce que la raison leur commande de faire,
Il ne faut demander à ces esprits fâcheux
Que l'opposé de ce que l'on veut d'eux.