Qu'un Berger tonde son Mouton,
Est-ce juste ? Est-ce nécessaire ?
Berger dit oui ; Mouton dit non.
Mais ce n'est pas là notre affaire.

Robin disait au gros Lucas :
Que me reviendra-t-il de te donner ma laine ?
Répondre à ce propos, c'eût été trop de peine.
Lucas semblait n'en faire cas.
Es-tu donc sourd, disait Robin la bête ?
Coupe mon poil, mais réponds-moi :
Berger qui tond devrait avoir réponse prête,
Et pouvair dire et comment et pourquoi.
Lucas tondait. A voir un si profond silence,
Robin, quoique Mouton, eût perdu patience,
Quand il surprit Lucas pleurant.
Ah ! voilà que je te pardonne ;
A des pleurs un bon cœur se rend.
Coupe, coupe mon poil ; que ma toison soit bonne ;
Lucas, ne pleure pas ; Lucas, fois donc content.
Que ne peux-tu demain en prendre encore autant !

Je couperais cent fois ta laine,
Dit le Berger, j'emporterais ta peau :
Mais il est dur de prendre tant de peine
Pour n'en être à la fin ni plus gras, ni plus beau.
Tu n'es pas mon Mouton, nous avons même maître ;
Et pour lui je te tonds et je te mène paître.
Ah ! dit Robin, j'ai fort bien entendu :
Tu ne gémirais pas, tu ferais bien tranquille,
Si pour ton intérêt j'étais ainsi tondu.
Reviendrais-tu par hasard de la ville ?

Livre II, fable 10




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