A leur Berger présentèrent requête
Des Moutons par trop imprudents.
Que les conseils d'une mauvaise tête
Ont de pouvair pour séduire les gens !
Dans le troupeau quelque jeune cervelle
Dicta l'écrit que le Berger reçut.
Contre le chien, gardien toujours fidèle,
En ces termes on le conçut.
La frayeur trouble notre vie ;
Les Loups nous poursuivent toujours :
Contre leur rage et leur furie
Quels moyens avons-nous pour défendre nos jours ?
Que notre chien veille sans cesse
Pour nous garder, ce n'est jamais qu'un chien :
Prudence, zèle, ardeur, adresse,
Contre la force ne font rien.
Opposons de puissantes armes
À la dent cruelle des Loups ;
Terminons toutes nos alarmes,
Qu'un Lion nous défende et les terrasse tous.
Le bon Berger fut trop facile,
Le pauvre chien fut renvoyé.
Le Troupeau découvrit l'asile
D'un Lion qui fut supplié
De le conduire au pâturage,
De lui donner son amitié,
De le défendre du carnage,
D'avoir de lui quelque pitié.
Le Lion fit ferment d'exterminer la race
Des Loups cruels et ravissants.
A l'instant le Berger, les Moutons, tout l'embrasse,
Et de concert tous marchent dans les champs.
Egarés dans une prairie,
Un Loup de loin les aperçoit.
Emporter un Mouton, c'était bien son envie ;
Aisément cela se conçoit :
Mais l'aspect du Lion troubla sa fantaisie
Et de quelques instants retarda son repas.
Il reprit bientôt son audace.
Le Chien, dit-il, suivait mes pas ;
Il me sentait partout ; c'était partout sa place :
Je puis prendre un Mouton où le Lion n'est pas.
Aussitôt fait que dit. Le reste prend la fuite :
Le Lion furieux accourt pour le venger ;
Mais le Loup, déjà loin, rend vaine sa poursuite,
Et montre le Mouton qu'il commence à manger.
Chaque jour vit nouvelle perte ;
Le Lion avait beau tenir la gueule ouverte
Le côté qu'il gardait était seul excepté.
Les Loups se repaissaient avec facilité :
Leur approche à propos n'était point découverte ;
Ils n'avaient pour cela besoin Que d'un peu plus de foin.
De rappeler le Chien il était nécessaire :
Berger, Moutons, n'eurent tous qu'une voix ;
Mais renvoyer le Lion dans les bois,
Ce n'était pas petite affaire.
Pourtant il entendit raison,
Et voulut bien céder sa place.
Mais la céder pour rien ! de la part d'un Lion
C'eût été trop leur faire grâce.
Tous ensemble se consultaient
Pour savoir envers lui comment ils pourraient faire :
Hé ! le Lion n'exigea pour salaire
Que la moitié des Moutons qui restaient.