Le Lion choisissant un ministre Alexis Rousset (1799 - 1885)

Le lion voulant un ministre
Pour diriger l'enseignement
Dans ses vastes états, il s'offrit plus d'un cuistre :
Aucun n'obtint son agrément.
Il ne resta plus en présence
Qu'un docteur en droit, le hibou,
Avec un singe sapajou,
La veille encor maître de danse.
Le hibou, chacun s'en souvient,
Fut jadis l'oiseau de Minerve,
Mais aussi partout on le tient
Pour savant et plein de réserve.
C'était bien l'être qu'il fallait
Au portefeuille. Aussi pensait- on qu'il allait,
Tout cuirassé de sa science,
Vaincre à l'instant la concurrence...
L'audience obtenue, il fait son compliment
Au maître auguste de l'empire,
En bon latin et noblement ;
Mais le singe flatte le sire :
Le premier fit bâiller, et le second, sourire.
L'un s'étend (je ne sais pourquoi)
Sur les devoirs de la couronne.
L'autre dit : - Je vais parler, moi,
Sur les droits que le sceptre donne !
Le hibou voulait des vertus ;
Mais le singe, fin politique,
Glisse lestement là-dessus.
Le premier sembla fort diffus,
Et le second, bien plus logique.
Enfin, notre docteur termine son discours
Par une habile période,
Pleine de grâce en ses contours.
Ceci, dit le lion, n'est, je crois, plus de mode.
Et le roi, par mégarde, alors laisse tomber
Son sceptre le maître de danse
Renversant le hibou, s'élance :
D'un bond on le voit enjamber
Six courtisans ; il cabriole,
Fait la roue, enfin rend le sceptre. Le lion
Récompense cette action
Par la plus aimable parole.
Là finit l'examen. Et l'heureux sapajou
Devint ministre. Le hibou
Fut estimé fort téméraire
D'avoir conçu le moindre espoir.

Pour réussir, le savoir-faire
Est bien au-dessus du savoir.

Livre II, fable 2




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