Deux bons amis vivaient heureux ;
Leur bonheur était d'être ensemble ;
Jamais ils n'avaient fait de vœux
Pour les biens que Plutus rassemble.
Nommons-les, pour plus de clarté,
L'un Augustin et l'autre Pierre.
En faveur d'Augustin l'aveugle déité,
La Fortune, un beau jour se décide à tout faire.
Triste victime hélas ! de la fatalité,
Pierre éprouve tout le contraire.
Dès que Plutus nous ouvre son trésor
D'un animal heureux nous perdons la mémoire :
Augustin prit bientôt le plus brillant essor,
Comme on peut aisément le croire.
Pierre avec un cœur pur croyait à l'amitié.
Il n'entend plus parler d'Augustin, et n'a garde
Dépenser un instant qu'il en est oublié.
D'aller le voir un jour il se hasarde ;
Mais l'enrichi lui jette un coup-d'œil de pitié,
Et même à peine le regarde.
Tout entier à l'ambition,
Il n'a de son ami qu'une trace légère.
Lancé dans le grand monde et dans son tourbillon,
Soupçonner qu'il l'a vu, c'est tout ce qu'il peut faire.
Pierre indigné, s'arme de ce mépris
Qui sied au cœur que l'on outrage.
Augustin, lui dit-il, vous vous montrez peu sage,
Et vous avez perdu beaucoup de votre prix.
Pourquoi fuir l'amitié, quand rien ne la remplace ?
Point de ligne entre nous de démarcation :
Celle que vous tracez par ostentation,
La raison veut que je l'efface. »
Pierre en vain voulut pérorer,
Quoique très bonne fût sa cause,
Augustin se moquait de le désespérer.
Vanité nous métamorphose.
Pierre s'en fut en gémissant,
L'esprit absorbé de tristesse.
Combien on pourrait à présent
Citer d'amis de cette espèce !

Quand nous méprisons nos égaux,
Rien ne peut nous servir d'excuse.
La hauteur vient d'un calcul faux
Dont le résultat nous abuse.

Livre II, fable 14




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