Un auteur, pour peu qu'il raisonne,
Prend pour talents qu'il a ceux qu'il devrait avoir,
Mais c'est au concours qu'il faut voir
Celui qui doit obtenir la couronne.

Certain homme qui se mourait
Légua cent mille écus, et même davantage,
À celui qui réunirait,
N'importe en quel genre d'ouvrage,
Beauté de plan, force et grandeur,
Esprit, invention, finesse,
Rapidité, délicatesse,
Précision, élégance, chaleur,
Grandes images et noblesse,
Style très pur, adages sans erreur,
Et traits annonçant le génie.
Pour gagner les cent mille écus,
Poème épique, opéra, tragédie,
Odes, satire, épître, comédie,
Drames bourgeois, et bien et mal reçus,
Idylles, romans, fables, histoire,
Opéra comique et sans goût,
Comme on peut aisément le croire,
Naissent bientôt et sans nombre et partout.
Chacun déjà croit sa fortune faite :
Epris de ses talents, il n'attend rien du sort.
Ce riche prix, hélas ! il faut qu'on le remette,
Nul n'a rempli les vœux du mort.
L'un peste, jure et fait tapage ;
Ce qu'il a fait pourtant est selon lui très-beau.
L'autre retouche ou refond son ouvrage ,
Et veut concourir de nouveau :
Vains efforts ! quel mortel faudra-t-il couronner ?
Jusqu'à ce jour, aucun n'a mérité de l'être,
Et les cent mille écus peut-être
Resteront toujours à donner.

Livre II, fable 19




Commentaires