Devine qui pourra : le pape était encore Enville... je veux dire, au pavillon de Flore.
Il suffit ; je tairai l'année et la saison.
Tout juste au pont tournant, certaine serinette,
Qui déménageait en charrette,
Rencontra sur sa route un ancien compagnon
De son ;
Vieux canon montagnard, et qui sur sa culasse
Faisait lire aux badauds : Vivre libre ou mourir !
À cette inscription courait la populace ;
Et serinette d'accourir.
« Eh, bonjour ! quel bonheur de te trouver en place !
Je t'ai cru, comme moi, réformé ; l'on me casse.
Pourtant, s'il m'en souvient, nous avons débuté
Le même jour ici ; j'eus douze ans l'autre été.
Pour une cantatrice on me trouve vieillotte :
Bref, l'on incarcère ma voix.
Si je fais, par hasard, cinq notes dans six mois,
Chacun se prend à rire, et dit que je radote. »
-« Et que leur chantez-vous ?» -« Ce que je leur chantais ;
Tu sais, la Marseillaise, et le bon patriote,
Français ! brisez vos fers... Qu'en dis-tu, sans-culotte ?
Est- ce donc que je radotais ? >>
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Même chant qu'autrefois serait-ce ?... » - « Détonner. »
- « Oh ! dis-moi, railles- tu ? rêvé-je ? ou si je veille ?
Dans tous les cas, mon cher, je t'ai bien écouté ;
Pour compris, pas un mot : les tyrans m'ont ôté
La voix, mais je croyais qu'on m'eût laissé l'oreille. »
-« Pauvre enfant, qu'elle est drôle ! il faut lui pardonner ;
Je vois bien qu'elle dort depuis la république !
Sa candeur intéresse : on devrait lui donner
Un nouveau maître de musique.
Justement en voilà. Tenez, ma bonne sœur,
Écoutez cet orgue qui passe :
......
V'là c'que c'est que d'avoir du cœur...
Retenez son refrain, je vous promets sa place :
Vous serez des serins le petit moniteur. »
La pauvre cantatrice, encor mal éveillée,
Dans sa maison d'arrêt s'était un peu rouillée.
Elle fait de son mieux, tourne, quoique à l'envers,
Puis retourne ; et voilà mainte touche branlante
Qui d'une vieille dent sifflante
Sur le cylindre accroche un bout de ses vieux airs :
Chaque tuyau gazouille, et la pauvrette crie :
Qui veut affranchir l'univers
Doit commencer par sa patrie.
- Vraiment ! nous voilà bien remise à l'unisson !
Gronda l'ex-sans-culotte : êtes-vous sourde ou folle ?
Ne vous ai-je point dit que, par bonne raison,
Pour ne pas détonner, il faut changer de ton ?
Nous croyez-vous ici dansant la carmagnole ? »
Cela fut dit bien haut. La chanteuse, un moment,
En eut par tout le corps certain frémissement
Qui lui fit perdre la parole.
Puis, avec un soupir qu'elle étoufse : « Ah, pardon,
Monseigneur ! je craindrais... je tremble
D'en dire trop, mais il me semble
Que vous-même grondez de la même façon
Dont vous grondiez jadis quand nous fêtions ensemble
L'Etre suprême et la raison.
Ceci soit dit sans vous déplaire :
Je puis m'être trompée. »-« Oh, que non pas, ma chère !
Mais suis-je, comme vous, un diseur de chansons ?
Non ! les notes ici ne font rien à l'affaire ;
Et ce qu'on prise en moi ce ne sont pas mes sons.
Fêtes de la raison et de l'Etre suprême,
Oubliez ces gens-là, ceux qui sont morts sont morts.
La nation refait son thème.
Je garde mes boulets ; vous, changez vos accords.
Car l'on tue aujourd'hui comme on tuait alors,
Mais on ne chante plus de même. »
Puis, qu'ils viennent encor ces ennemis des lois,
Dire que le canon se trompe comme un autre !
Le canon se tromper ? c'est la raison des rois !...
Quelquefois aussi c'est la nôtre.
Je suis de sa doctrine en cette occasion :
Sa leçon de musique, et vous pouvez m'en croire,
Mérite quelque attention.
Son dernier mot surtout m'a remis en mémoire
Nombre de ces beaux jours où l'on croit franchement
Reconstruire un État comme un vieux bâtiment.
Il en faut : sans cela que deviendrait l'histoire ?
Aussi pas de regrets ; tout fruit vient dans son temps.
En tous lieux, la patrie, habile, folle, ou sage,
Ou dévote ou guerrière, a de certains amants
Dont le goût dédaigneux insulte à ses vieux ans,
Et lui fait regretter la fraîcheur du bel âge.
Il lui faudrait le bain qui rajeunit OEson.
Pour mieux la rajeunir, ainsi que de raison,
On vous lui fend la gorge, ouvrant un beau passage
Au philtre : plus de ride, on lui porte au visage
Le sabre ; sur ses cheveux blancs
Qui d'ici, qui de là se jette :
Et, vive Dieu ! notre sans-dents
Se trouve, en un clin d'œil, une jeune poulette.
Pour former les oiseaux de son nouveau printemps,
On accorde à la hâte, et l'on met à l'ouvrage,
Deux souffleurs divers de ramage,
Serinette et canon. Aleurs concerts touchants
Madame achève sa toilette.
Force rubans, peu d'étiquette,
Surtout écharpe neuve. On lui met sur le front,
Que sais-je ? un beau croissant ? deux clefs ? un diadème ?
Un casque ? un petit chapeau rond ?
Un bonnet rouge ?.. tout de même :
Casque, bonnet, tiare et croissant, tout est bon :
Et ce serait un capuchon
S'il plaisait à la baïonnette,
Sévère arbitre du bon ton.
On nomme tout cela faire un tour d'omelette :
Passe-temps un peu cher pour ce modeste nom !
Payons les œufs cassés. Puis, réforme complète !
Réforme ? - Oui. - L'on va donc enclouer le canon ?
- Non.
- Et quoi ?-Changer la serinette.