Mon cher Solon à boule blanche,
Nos lois, depuis vingt ans, émanent de tes doigts.
Dis-nous donc quelles lois tu nous tiens dans la manche.
Dois-tu, vingt ans encore, au bout des douze mois,
Refaire nos devoirs, redéfaire nos droits,
Et, redressant toujours l'État qui toujours penche,
A ce jeu de bascule, où se perdent les rois,
Encor vingt ans, prendre vingt fois
Contre toi-même ta revanche ?..
Tu n'en sais rien. Parbleu ! je m'en serais douté.
Quand (de nos jours !) on eut, vingt ans, l'agilité
D'être fidèle à tout le monde,
Je n'exige pas qu'on réponde
De l'excès de mobilité
Où peut conduire enfin tant de fidélité !
Laissant donc l'avenir, souffre que je m'éclaire
Sur le présent : dis-moi si je dois, pour te plaire,
Interpréter ton vœu royal
D'après ton vote impérial,
Ou ton suffrage consulaire.
<-<< Bonsoir : chez le ministre un rendez-vous donné... >
-Oui, vraiment ! j'oubliais, c'est l'heure du diné !
N'importe, heureux convive, un moment d'abstinence :
Et, tandis qu'au Faubourg on te met le couvert,
Écoute ce récit, dont tu peux, au dessert,
Égayer Sa grave Excellence.

Un bon petit serin, comme un autre Mozart
Précoce, et dont la voix devançait le plumage,
Pendant le cours d'étude exigé pour son art,
Avait trois fois changé de maître, et non de cage.
L'an quatre de la liberté,
Chez un abbé jureur, pondu dans un collège,
D'un violon assermenté
Il avait appris le solfège.
Du collège au château, par l'heureux privilège
Que donne un grand talent, quelquefois invité,
L'an premier, qui suivit l'an quatre,
Un jeune Vendéen, flûte de qualité,
Par ses nobles fredons l'instruisit à combattre
Les accords de l'égalité.
O coup du sort ! la guerre éclate ; et de la guerre
Atteint dans son château, par un siège emporté,
Notre Amphion jonquille, avant qu'il eût porté
Sur son épaule droite un mousquet d'Angleterre,
Fait prisonnier, devint l'élève d'un hussard,
Trompette sans-culotte, et basson montagnard.

Un peu léger d'esprit, l'oiseau, des trois écoles
Dont il avait sucé les principes divers,
Brouillant dans son cerveau le chant et les paroles,
Confondit dans ses chants la musique et les vers :
Si bien que dans ses vers comme dans sa musique,
Quand la tierce disait la loi,
La quinte répondait le roi,
Et l'octave la république.
Honneur au peuple souverain !

Allait, en voltigeant sur son bec infidèle,
Heurter Pleure ta honte, ô nation rebelle !
Périsse l'anarchie ! y croisait le refrain
Un Français doit vivre pour elle ;
Et quand pour achever, comme tel qui sifflait,
Ce concerto d'un goût moderne,
Vrai royaliste pur, son larynx gazouillait
Vive Henri quatre !... à la lanterne !
Lui venait, sur la langue, étrangler le couplet.

Si cet oiseau, dont la manie
Fut de tout chanter à la fois,
Au lieu de nos chansons, avait appris nos lois,
C'eût été la même harmonie.

Adieu ; je crains d'avoir trop longtemps arrêté
Ton appétit : qu'il vole où ton devoir l'appelle :
Et si tu veux, du fait que je t'ai récité,
Déduire à ton profit une moralité
Qui plaise à monseigneur et lui prouve ton zèle,
Dis- lui que pour avoir un repas combiné
En grand homme, un festin de génie, ordonné
Avec tout l'art diplomatique,
Et dont le chyle fortuné
Ramène au centre, après diné,
L'estomac le plus excentrique ' ;
Loin du sage Buffet, lieutenant du Conseil,
Où l'argile de Sèvre étale l'appareil
De sa friande politique,
Il écarte son singe, à l'imiter enclin...
Je craindrais que son singe, à mon serin semblable,
(Voyant tout ramener au centre) un beau matin,
Lui servit en un plat tous les plats de sa table.
Ce serait un mauvais festin !

Fable 3




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