Les Serins et le Chardonneret Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794)

Un amateur d’oiseaux avait, en grand secret,
Parmi les œufs d’une serine
Glissé l’œuf d’un chardonneret.
La mère des serins, bien plus tendre que fine,
Ne s’en aperçut point et couva comme sien
Cet œuf qui dans peu vint à bien.
Le petit étranger, sorti de sa coquille,
Des deux époux trompés reçoit les tendres soins,
Par eux traité ni plus ni moins
Que s’il étoit de la famille.
Couché dans le duvet, il dort le long du jour
À côté des serins dont il se croit le frere,
Reçoit la béquée à son tour,
Et repose la nuit sous l’aile de la mere.
Chaque oisillon grandit et, devenant oiseau,
D’un brillant plumage s’habille ;
Le chardonneret seul ne devient point jonquille,

Et ne s'en croit pas moins des serins le plus beau.
Ses freres pensent de même :
Douce erreur qui toujours fait voir l’objet qu’on aime
Ressemblant à nous trait pour trait !
Jaloux de son bonheur, un vieux chardonneret
Vient lui dire : il est temps enfin de vous connoître ;
Ceux pour qui vous avez de si doux sentiments
Ne sont point du tout vos parents.
C’est d’un chardonneret que le sort vous fit naître.
Vous ne futes jamais serin : regardez-vous,
Vous avez le corps fauve et la tête écarlate,
Le bec… oui, dit l’oiseau, j’ai ce qu’il vous plaira ;
Mais je n’ai point une âme ingrate,
Et mon cœur toujours chérira
Ceux qui soignerent mon enfance.
Si mon plumage au leur ne ressemble pas bien ;
J’en suis fâché ; mais leur cœur et le mien
Ont une grande ressemblance.
Vous prétendez prouver que je ne leur suis rien,
Leurs soins me prouvent le contraire :
Rien n’est vrai comme ce qu’on sent.
Pour un oiseau reconnaissant
Un bienfaiteur est plus qu’un père.

Livre I, fable 5




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