La Sangsue et les deux Serins Pierre Laurent de Belloy (1727 - 1775)

MOLIÈRE aurait mis cette Fable
A l'adresse des Médecins ;
Mais il fut trop puni de ses vers libertins,
Pour que je risque un fort semblable ;
Les Menins de la mort font un corps redoutable.

JADIS, deux malheureux Serins,
Nés sous l'aspect d'une étoile cruelle,
Avaient pour maître un harpagon femelle,
Qui sur Tardieu renchérissait
Par ses recherches en lésine.
La vieille qui se nourrissait
De sentir le fumet d'une broche voisine,
Ses Serins de même engraissait,
En leur montrant de loin de petits sacs de graines,
Et strictement leur imposait
Un carême nouveau toutes les six semaines.
Elle laisse enfin par bonheur
La cage ouverte et le couple s'échappe
De ce vrai couvent de la Trappe.
Les pauvres affamés, riant de tout leur cœur,
Au premier lieu venu s'en vont chercher leur vie ;
Le hasard les conduit sur une aire remplie
De grains de toute espèce et navette et millet,
Qu'à tous venants le vent éparpillait.
Je vous laisse à penser si nos Chartreux passèrent
Sans s'arrêter et fi leurs becs se reposèrent.
Il me semble les voir comme ils se démenaient,
Piquaient et repiquaient, becquetaient, trépignaient.
Bref tellement ils s'en donnèrent,
Qu'ils font frappés soudain par l'indigestion
D'une mortelle oppression.
Les voilà bien chanceux, œil mort, ailes tombantes,
Bec entr'ouvert, pattes traînantes,
Qui, tout en trébuchant, vont gagner un ruisseau,
Pour boire quelques gouttes d'eau...
Ils y trouvent une Sangsue,
Qui, les voyant de loin, était vite accourue ;
Soyez bien venus, mes amis,
Les Dieux vous gardent de dommage ;
Qu'avez - vous? je vous vois un bien mauvais visage;
Vous voilà pâles et bouffis :
L'un d'eux piteusement lui conte leur histoire.
Quoi! ce n'est que cela ? tenez-vous pour guéris,
Je fais la Médecine et certes, j'en fais gloire.
L'excès du sang suspend votre digestion,
Et forme une rétention
Dans les sucs de la nourriture,
D'où s'enfuit cette obstruction,
Dont le Grand Galien nous indique la cure.
Or, pour que votre sang soit d'abord dégagé,
Et votre mal promptement soulagé,
Son avis est qu'il faut ouvrir un peu la veine.
Ne vous en faites point de peine,
Je sers l'homme souvent et c'est là mon métier
Je le fais noblement, sans me faire payer.
Nos sots sont éblouis par l'obscure éloquence
De cet Hypocrate nouveau ;
Tête baissée ils vont donner dans le panneau ;
C'est à qui le premier fera l'expérience.
Au cou du plus prochain la matoise se pend,
Et de sa trompe lui pompant
Le sang avec la vie, il tombe sur la place
Sec comme bois, froid comme glace.
Son camarade épouvanté
De voir une mort si rapide :
Est-ce ainsi, lui dit-il, que tu rends la santé ?
Je ne devinais pas ton remède homicide,
Il est doctement inventé ;
Oui, le sang ne nuit plus, quand le corps en est vide.
Si ton Art ne fournit que des secrets pareils,
Tu peux les porter chez les hommes ;
Nous autres bêtes que nous sommes
Nous suivons les simples conseils
Que nous suggère la Nature.
C'est notre Galien. J'entends qu'elle me dit,
De ne prendre d'un jour, pour toute nourriture,
Que de l'eau pure ;
Il eut raison, il le fit et guérit.





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