L'Homme et les sangsues Eugénie et Laure Fiot (19ème siècle)

Un riche, un heureux de ce monde,
Fameux en cent lieux ç la ronde,
Promenait ses loisirs, dans un léger bateau,
Sur un étang tranquille, ente le ciel et l'eau.
Ne trouvant pas encor sa fortune assez ronde,
Il faisait des calculs, des comptes fort enflés,
Et croyait voir déjà ses capitaux triples.
Il advient qu'à l'instant de nombreuses sangsues
Serpentant sur les eaux, le troublent dans ses vues.
« Que voulez-vous, dit-il ? passez votre chemin,
Vous, buveuses de sang humain,
Vous êtes de cruelles bêtes ! »
A ces mots, celles-ci redressèrent leurs têtes
Et l'une d'elles vint lui tenir ce propos :
« Homme injuste ! aux humains, loin de causer des maux
Nous guérissons leurs maladies,
Et buvant tout leur mauvais sang,
Nous leur sacrifions nos vies.
Mais il est, parmi vous, voire même en haut rang,
Des gens qui, dépouillant une bonne nature,
Tout en se proclamant honnêtes, vertueux,
Du sang des malheureux
Font leur triste pâture. »
Vous croyez qu'a ces mots notre homme dut crier ;
Du tout, il resta coi. C'était un usurier.
L'accusateur souvent est puni le premier.

Fables nouvelles, Livre III, Fable 12, 1851




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