Le Bon Homme et le Trésor Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794)

Un bon homme de mes parents,
Que j’ai connu dans mon jeune âge,
Se faisait adorer de tout son voisinage ;
Consulté, vénéré des petits et des grands,
Il vivoit dans sa terre en véritable sage.
Il n’avait pas beaucoup d’écus,
Mais cependant assez pour vivre dans l’aisance ;
En revanche, force vertus,
Du sens, de l’esprit par dessus,
Et cette aménité que donne l’innocence.
Quand un pauvre venoit le voir,
S’il avait de l’argent, il donnait des pistoles ;
Et, s’il n’en avait point, du moins par ses paroles
Il lui rendait un peu de courage et d’espoir.
Il raccommodait les familles,
Corrigeoit doucement les jeunes étourdis,
Riait avec les jeunes filles,
Et leur trouvoit de bons maris.
Indulgent aux défauts des autres,
Il répétait souvent : « N’avons nous pas les nôtres ?
Ceux ci sont nés boiteux, ceux là sont nés bossus,
L’un un peu moins, l’autre un peu plus :
La nature de cent manières
Voulut nous affliger : marchons ensemble en paix ;
Le chemin est assez mauvais
Sans nous jeter encor des pierres. »
Or il arriva, certain jour,
Que notre bon vieillard trouva dans une tour
Un trésor caché sous la terre.
D’abord il n’y voit qu’un moyen
De pouvair faire plus de bien ;
Il le prend, l’emporte et le serre.
Puis, en réfléchissant, le voilà qui se dit :
Cet or que j’ai trouvé ferait plus de profit
Si j’en augmentois mon domaine ;
J’aurais plus de vassaux, je serais plus puissant.
Je peux mieux faire encor : dans la ville prochaine
Achetons une charge, et soyons président.
Président ! cela vaut la peine.
Je n’ai pas fait mon droit, mais, avec mon argent,
On m’en dispensera, puisque cela s’achète. »
Tandis qu’il rêve et qu’il projette,
Sa servante vient l’avertir
Que les jeunes gens du village
Dans la cour du château sont à se divertir :
Le dimanche, c’était l’usage,
Le seigneur se plaisoit à danser avec eux.

Oh ! ma foi, répond-il, j’ai bien d’autres affaires ;
Que l’on danse sans moi. » L’esprit plein de chimères,
Il s’enferme tout seul pour se tourmenter mieux.
Ensuite il va joindre à sa somme
Un petit sac d’argent, reste du mois dernier.
Dans l’instant arrive un pauvre homme
Qui, tout en pleurs, vient le prier
De vouloir lui prêter vingt écus pour sa taille.
Le collecteur, dit-il, va me mettre en prison,
Et n’a laissé dans ma maison
Que six enfants sur de la paille. »
Notre nouveau Crésus lui répond durement
Qu’il n’est point en argent comptant.
Le pauvre malheureux le regarde, soupire,
Et s’en retourne sans mot dire.
Mais il n’était pas loin, que notre bon seigneur
Retrouve tout à coup son cœur :
Il court au paysan, l’embrasse,
De cent écus lui fait le don,
Et lui demande encor pardon.
Ensuite il fait crier que sur la grande place
Le village assemblé se rende dans l’instant.
On obéit ; notre bonhomme
Arrive avec toute sa somme,
En un seul monceau la répand.
Mes amis, leur dit-il, vous voyez cet argent :


Depuis qu’il m’appartient je ne suis plus le même ;
Mon âme est endurcie, et la voix du malheur
N’arrive plus jusqu’à mon cœur.
Mes enfants, sauvez-moi de ce péril extrême
Prenez et partagez ce dangereux métal ;
Emportez votre part chacun dans votre asile :
Entre tous divisé, cet or peut être utile ;
Réuni chez un seul, il ne fait que du mal. »

Soyons contents du nécessaire,
Sans jamais souhaiter de trésors superflus :
Il faut les redouter autant que la misère,
Comme elle ils chassent les vertus.

Livre II, fable 2




Commentaires