La jeune Femme et les deux Serins Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

De deux jeunes époux l'Amour et l'Hyménée
Avaient uni le sort, depuis plus d'une année ;
Mais l'Hymen seul restait, l'Amour s'était enfui,
Du mari l'on vantait le mérite à la ronde ;
Aimable et brillant dans le monde,
Il était fort terne chez lui.
L'épouse (on la nommait Adèle)
Était bonne, sensible et belle,
Et digne d'un plus heureux sort.
Dans ce logis vivaient encor
Deux serins, renfermés dans une même cage ;
Adèle prenait soin de ce jeune ménage,
Lui donnant, chaque jour, le grain et la leçon.
Le mâle était chanteur habile,
Mais, capricieux, indocile,
On ne pouvait en obtenir un son,
Quand une fois monsieur avait dit non.
Il lui fallait du bruit et de la compagnie ;
C'est alors seulement que son art éclatait,
Qu'il gazouillait, sifflait, jasait, chantait ;
Un nombreux auditoire excitait son génie,
Et, si vingt visiteurs parlaient tous à la fois,
Il triomphait : sa voix couvrait toutes les voix.
Le succès l'enflammait ; tout alors à la gloire,
Il épuisait son répertoire.
Tel on voit un célèbre acteur,
Enivré des bravos d'un parterre qui l'aime,
S'émouvoir, s'animer, se surpasser lui - même ;
Tel brillait de l'oiseau le talent enchanteur.
Mais il lui faut ce public qui l'inspire ;
Que tout ce monde se retire,
Ses chants et sa gaité cesseront tout d'abord ;
Auprès de sa femelle il se tait et s'endort,
A sa femme il n'a rien à dire.
La pauvrette faisait un inutile effort.
Pour cacher sa douleur ; et sa jeune maîtresse,
Qui bien souvent près d'elle attendait son époux,
S'apercevant de sa tristesse,
Lui répétait, d'un ton mélancolique et doux :
« Pourquoi, mon pauvre oiseau, cette peine profonde ?
Il faut à ton mari le bruit et le grand monde ;
Tous les serins, hélas ! sont faits ainsi ;
Presque tous les hommes aussi ! »

Livre III, fable 6




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