Les petits Serins Pierre Didot (1761 - 1853)

Instruire et plaire , c'est le but
Que dans la fable on se propose :
Mais , j'en conviens dès le début ,
Ici je l'ai manqué ; connaissez-en la cause.
Vous instruire ; eh! qui le pourrait ?
C'est en vain qu'on le tenterait :
Et serais-je moins téméraire
Si j'osais prétendre à vous plaire?
Que cet espoir me flatterait !
Sur votre bonté je le fonde,
Apprenez-moi comment on plaît à tout le monde :
Je n'en ferai jamais un usage indiscret ;
Et vous seule sauriez que j'ai votre secret.
Sur mes petits serins daignez jeter la vue.
Deux pourront vous intéresser,
Et peut-être vous retracer
Une tendre union par vous si bien connue ,
Celle de deux époux heureux :
Les auteurs de vos jours vous en offrent l'exemple,
Et l'hymen fortuné chez eux bâtit son temple :
Où pouvait-il trouver deux cœurs plus vertueux ?

Des plus jolis serins une jeune couvée
Étoit déja toute élevée.
Pour le sexe bien assortis
Ils pouvoient vivre sans querelles :
Deux mâles ; autant de femelles ;
C'étoient en tout quatre petits....
Oui, je dis bien, ils étoient quatre.
C'était plaisir que de les voir s'ébattre,
Se rassembler, se chercher, s'éviter,
Se croiser, voltiger, sauter, et béqueter
Le mouron toujours frais qui recouvrait leur cage,
Et dont la fleur passait à travers le grillage.
Au bout de quelques mois ils firent bande à part :
Un couple se convint ; l'autre , tout au contraire
Il se battait pour l'ordinaire
A chaque instant : et c'était grand hasard
Si l'on n'en voyait deux se quereller sans cesse,
Et deux toujours se caresser.
Ces derniers, comme on peut penser,
Après mainte et mainte caresse,
Recueillirent le fruit de leur vive tendresse ;
Enfin le produit de leurs jeux
Fut quatre jolis petits œufs
Couvés sous l'aile de la mère,
Et souvent sous l'aile du père ;
Ils partageaient également ce soin :
Et les petits éclos, l'un broyait la pâture,
L'autre l'allait chercher ; l'instinct de la nature
Jamais ne s'étendit si loin.
Et cependant tout le fond de la cage
Était couvert de débris de plumage :
Vainqueur et vaincu tour-à-tour,
L'autre couple ennemi se battait nuit et jour.
Mais à travers les assauts , les menaces ,
Les coups de bec , les sanglantes disgrâces,
Ne sais comment s'introduisit l'amour.
Il n'en alla pas mieux ; bientôt après sa ponte,
La serine quitta , sortit du nid : Eh quoi!
Lâche! dit-elle au mâle ; eh ! N'as-tu pas de honte ?
Me faudra-t-il toujours me fatiguer pour toi?
Prends la place à ton tour. L'autre n'en veut rien faire
De là nouveau sujet de guerre.
Pendant tous ces débats ils négligeaient leurs œufs.

Fuyez l'hymen, et redoutez ses nœuds,
Si votre âme en secret ne se sent assortie
Par une heureuse et douce sympathie,
Si votre cœur épris n'est payé de retour.
C'est par un soin prudent et sage
Que les dieux ont caché les peines du ménage
Sous l'illusion de l'amour.

Fable 16




Commentaires