Les Cormorans Pierre Didot (1761 - 1853)

LES cormorans sont grands nageurs,
Et de plus excellents plongeurs.
Lorsque l'un d'eux du sein de l'onde
A su tirer quelque poisson,
L'avaler
Il s'en repaît de la façon
La plus singulière du monde.
Il ne saurait probablement
par la queue, au moins commodément :
Les nageoires sans doute et peut-être l'écaille
L'en empêchent ; conséquemment
Il faut qu'il s'y prenne autrement.
Or voici comme il y travaille :
Il lui fait faire en l'air un demi-tour,
Le poisson tombe alors la tête la première ;
Et gaillard cormoran en fait son ordinaire ;
Il ne manque jamais son tour.
Mais voici bien un autre conte,
Ou , pour mieux dire , un fait qu'on ne peut contester
Au rapport du père le Comte,
Les Chinois ont su profiter
Du goût que ces oiseaux témoignent pour la pêche.
Je le crois, et rien n'en empêche :
Nous avons nos faucons chasseurs,
Ils ont leurs cormorans pêcheurs,
Et parviennent , dit-on , sans peine à les instruire ;
Même un seul homme en peut conduire
Cent environ. Sur le bord du bateau
Toute la troupe se rassemble ;
Puis au signal ils plongent tous ensemble ,
Et lorsqu'ils reviennent sur l'eau
Ils vont apporter leur proie
Au maître qui les envoie.
Trouve-t-on un trop gros poisson,
On s'y prend de cette façon :
On se met deux ; puis on l'arrête
L'un par la queue et l'autre par la tête.
C'est là des cormorans la plus forte leçon.
Mais toujours , pour plus d'assurance,
On leur met au bas du gosier
Un anneau de fer, ou collier,
Qui leur prêche la tempérance,
Et les empêche de goûter,
En cas qu'ils en sentent l'envie,
Du mets friand qui les convie,
Et qui pourrait bien les tenter.

Nous en rions ; mais qu'on y pense,
Nos récépissés, nos garants,
Exigés par la défiance,
Sont le collier des cormorans.

Fable 17




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