Traits de grandeur d'âme Pierre Didot (1761 - 1853)

Non, ce n'est point assez qu'en des récits menteurs
Le vice soit atteint des traits du ridicule ,
Qu'il soit toujours dépeint sous de noires couleurs ,
Qu'à son aspect enfin l'homme effrayé recule :
Il faut encor... Mais j'entends nos censeurs.
Eh quoi! si je ne suis ni jaloux ni volage,
Point médisant, point ingrat , point trompeur,
Je n'aurai pas votre suffrage?
Mais enfin si je n'ai ni fierté ni hauteur,
Si je ne suis ni méchant ni col7re,
Si je n'ai nuls défauts , serez-vous satisfait ?
Répondez donc ; faut-il être parfait
Pour parvenir à vous plaire ?
Mais, vous dis-je encore une fois,
Serez- vous vertueux, pour n'avoir aucun vice ?
De ce qu'un citoyen n'a pas enfreint les lois ,
Faut-il lui savoir gré, célébrer sa justice?
Je voudrais donc que des traits de vertu
Ornassent plus souvent tous nos recueils de fables :
Et puisqu'enfin le lot de nos semblables
Est d'imiter, leur temps ne serait pas perdu.
Plus attrayante encore que les grâces,
La vertu, seule, et sans efforts,
De l'âme épure les ressorts ,
Et nous invite à marcher sur ses traces,
Montrons-la dans un empereur :
Plus que ce titre auguste elle sert à sa gloire.
Je vais citer un trait d'histoire
Déjà connu de maint lecteur.

Des courtisans du temps (ce n'est plus l'ordinaire,
Dit-on, parmi ceux d'aujourd'hui ;
Je le souhaite, et c'est un vœu sincère),
Des courtisans du temps , toujours tout prêts à faire
Leur cour aux dépens d'autrui,
Un jour à Constantin en hâte vinrent dire
Que le peuple séditieux
Semblait vouloir bouleverser l'empire ;
Que même quelques uns des plus audacieux
Avoient à sa statue osé jeter des pierres ;
Qu'il fallait n'écouter ni plaintes ni prières ;
Ses traits étaient meurtris, et son corps tout froissé,
L'empereur répondit en héros, en vrai sage ;
Il passe en souriant la main sur son visage :
Vous vous trompez, dit-il, je ne suis point blessé.

On ne peut trop de ce grand homme
Admirer le sublime trait ;
Mais, hélas ! c'est bien à regret
Qu'il m'a fallu l'aller chercher à Rome.
Pourquoi ces vains regrets ? ô France, Dieu merci,
D'aucune nation tu ne seras jalouse.
Cent traits pareils chez toi trouveraient place ici ;
Je veux me contenter d'un seul de Louis douze.

Les rois ont toujours des flatteurs.
Plusieurs l'avertissaient, par un soin charitable,
Qu'au théâtre une pièce, en tous points condamnable,
Semblait avoir pour but de censurer ses mœurs,
Et qu'on pouvait à plus d'un signe
Reconnaître sa majesté.
Louis leur répondit : Tant mieux ; ils m'ont cru digne
D'entendre la vérité.

Fable 19




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