Un prince encore enfant (sept ans était son âge)
Avait un précepteur, homme prudent et sage,
Habile à lui former le cœur:
Et le succès le plus flatteur
Encourageait les soins du maître.
L'élève en tout faisait paraître
Qu'il profitait de ses leçons :
Sans y penser, de cent façons,
Avec lui tous les jours il trouvait à s'instruire.
Le précepteur, sans lui rien dire,
Dans son appartement fit placer un tableau
Qu'il avait commandé, sujet allégorique.
Le prince, de retour, demande qu'on l'explique :
Quelle est, dit-il au maître, auprès de ce château
Cette figure si jolie ?
Qu'elle me plaît ! qu'elle a l'air gracieux !
Mon prince, c'est la Flatterie,
Qui distille un poison sûr et contagieux.
Défiez-vous toujours de sa coupable adresse ;
Elle dégrade l'âme, elle corrompt les mœurs :
Source impure de mille erreurs,
C'est pour tromper qu'elle caresse,
Voyez: Phébus à peine a ramené le jour,
Déjà de ce palais elle assiège la porte.
Hélas ! avant qu'elle en sorte
Elle aura joué plus d'un tour ;
Et je crains bien qu'à votre tour,
Par l'exemple entraîné, vous ne soyez avide
D'écouter un jour la perfide.
Alors les soins assidus
Que je prends de votre enfance
Deviendront des soins superflus :
Je le crains, j'en souffre d'avance.
Ne vous affligez point ; non, je ne l'aime plus,
Lui répondit le jeune élève.
Et puis je vous aurai toujours :
Si notre premier père eût eu pareil secours,
Quelque engageante que fût Eve,
Sans doute elle eût perdu le fruit de son discours.
Mais, dites-moi, quelle est cette belle figure
Que j'aperçois là-bas dans un coin écarté ?
Mon prince, c'est la Vérité
Qui s'éloigne à regret, mais pourtant sans murmure.
Chez les princes et chez les rois
En vain elle tenta de se faire connoître ;
On l'y maltraita tant de fois
Qu'elle a pris le parti de n'y plus reparaître.
Elle fuit la pompe des cours,
L'éclat de l'or, la broderie :
Riches ornements qui toujours
Ont attiré la Flatterie,
Sa plus redoutable ennemie.
Le petit prince alors dit d'un ton emporté :
Je la déteste aussi ; je veux toute ma vie
Employer mon autorité
À la chasser au loin de province en province :
Et pour goûter en liberté
L'entretien de la Vérité,
Je quitterai sans peine, et même avec gaîté,
Tousles jours mon palais et mon habit de prince.