Les Linottes Pierre Didot (1761 - 1853)

Que pensez-vous du chant de Philomèle,
Qu'on nous cite en tous lieux comme un parfait modèle ?
Là, franchement , qu'en pensez-vous , ma sœur ?
Disoit d'un ton modestement railleur
Une linotte à sa voisine
Tout aussi fière au moins des doux sons de sa voix.
Mais, ma sœur, moi, je m'imagine
Que, dans les chantres de nos bois,
Il en est dont le doux ramage
Peut aisément lui disputer le prix :
La fauvette a cet avantage.
Aimez-vous tant ce confus gazouillis,
Ces changements subits, ce bizarre mélange
De tons badins et sérieux,
Ces légers roulements qu'un coup de gosier change
En sons plaintifs , qu'on trouve harmonieux,
Et qu'à peine elle a fait entendre,
Qu'à l'instant elle va reprendre
Des sons brillants , gais et mélodieux ?
Malgré l'opinion publique,
Je n'aime point cette musique ;
Et la fauvette, à mon goût, chante mieux.
Ce que j'en dis, ma sœur, ce n'est point par envie.
Ah! je le crois, dit l'autre ; et c'est aussi mon goût.
Mais ce qui me déplaît sur- tout ,
Ce qu'on ne passe point , c'est sa coquetterie :
Cet oiseau fier s'observe , et s'écoute chanter.
Comme il se plaît à consulter
L'écho, qu'il force à répéter
Les sons de sa voix , tantôt vive,
Tantôt langoureuse et plaintive !
Et quand il formerait encor de plus doux sons ;
Quand il aurait un plus brillant ramage ;
Ainsi que la fauvette il n'a pas l'avantage
De chanter en toutes saisons.

C'est ainsi que nous déprisons
Les hommes du premier mérite ;
C'est à-peu-près ainsi que nous leur opposons
Un rival trop heureux de marcher à leur suite.
Et par là nous satisfaisons
Et notre amour propre et l'envie,
Agents secrets qui règlent notre vie ;
L'amour propre, en nous comparant
À ce rival du second rang,
Que nous nous efforçons de mettre au rang suprême ;
Et l'envie à son tour trouve un plaisir extrême
À contester l'honneur qu'un autre a mérité.
Belles, de ce défaut vous n'êtes point exemptes :
Vos querelles sont différentes ;
Elles ont pour but la beauté.
L'emporter en ce point, c'est commettre une offense
Que vous pardonnez rarement :
Et loin d'avouer franchement
Que telle sur telle autre à la prééminence,
Par amour propre et par vengeance,
Vous la rabaissez durement.
Ce difficile aveu sorti de votre bouche,
Je vous le dis , belles , par amitié,
Si le désir de plaire est le seul qui vous touche,
Vous rendrait à nos yeux plus belles de moitié.

Fable 33




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