Dans un terrain humide où l'autan pluvieux
Soufflait depuis trois mois l'orage et les tempêtes ;
À travers des guérets dont les sillons fangeux
Eussent d'un Alexandre arrêté les conquêtes ;
Quelques maigres fourmis lentement se traînaient :
La faim leur commandait ce périlleux voyage.
Pour recueillir des grains dispersés par l'orage
Plusieurs partaient ensemble, et fort peu revenaient :
Les unes, en plain champ avec peine avancées,
Traînant un précieux mais funeste fardeau,
Demeuraient avec lui dans la vase enfoncées ;
D'autres fuyaient la mort, et la trouvaient dans l'eau.
Il fallait pénétrer fort avant dans les terres
Depuis que d'alentour enlevant tous les grains,
Les plus grosses fourmis, citoyens mercenaires,
En avaient fait remplir de vastes magasins.
Sans peine on eût nourri toute la fourmilière,
De ces amas de bled entassés à dessein
D'affamer à plaisir la république entière
Pour lui prêter ensuite un secours inhumain.
Le bled publiquement se vendait à l'enchère ;
On exigeait sans honte un injuste salaire ;
Il fallait, pour le moins pendant une saison,
Que pour ces fainéants chacun fît la moisson.
Ainsi ces exacteurs, auteurs de l'indigence,
Dans le malheur commun, tranquilles, réjouis,
Passaient gaîment leurs jours au sein de l'abondance.
Autant on en verrait en France
Sans la sagesse de Louis.