Les Fourmis Pierre Didot (1761 - 1853)

Dans un terrain humide où l'autan pluvieux
Soufflait depuis trois mois l'orage et les tempêtes ;
À travers des guérets dont les sillons fangeux
Eussent d'un Alexandre arrêté les conquêtes ;
Quelques maigres fourmis lentement se traînaient :
La faim leur commandait ce périlleux voyage.
Pour recueillir des grains dispersés par l'orage
Plusieurs partaient ensemble , et fort peu revenaient :
Les unes, en plain champ avec peine avancées,
Traînant un précieux mais funeste fardeau,
Demeuraient avec lui dans la vase enfoncées ;
D'autres fuyaient la mort, et la trouvaient dans l'eau.
Il fallait pénétrer fort avant dans les terres
Depuis que d'alentour enlevant tous les grains,
Les plus grosses fourmis , citoyens mercenaires,
En avoient fait remplir de vastes magasins.
Sans peine on eût nourri toute la fourmilière,
De ces amas de bled entassés à dessein
D'affamer à plaisir la république entière
Pour lui prêter ensuite un secours inhumain.
Le bled publiquement se vendait à l'enchère ;
On exigeait sans honte un injuste salaire ;
Il fallait, pour le moins pendant une saison,
Que pour ces fainéants chacun fît la moisson.
Ainsi ces exacteurs , auteurs de l'indigence,
Dans le malheur commun , tranquilles, réjouis,
Passaient gaîment leurs jours au sein de l'abondance.

Autant on en verrait en France
Sans la sagesse de Louis.

Fable 34




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