Les Fourmis Jacques Peras (18è)

Une Fourmi dans la belle saison
Travaillait, amassait sans cesse.
De tant de bien que faisait-elle donc ?
Par un penchant très rare à son espèce,
Elle en donnait à qui n'en avait pas :
Il est beau d'aider son semblable.
Semblable ou non, ce n'est pas là le cas,
A tous elle était secourable :
Tout petit Animal pouvait en sûreté
La venir voir, il était bien traité,
Quoiqu'il y fit chère frugale ;
Et l'on m'a même raconté
Que la fainéante Cigale
Avait aussi part au gâteau ;
Enfin notre Fourmi n'avait pas son égale,
Elle aimait à donner, le système est nouveau..
Un beau jour, certaines voisines,
D'autres Fourmis n'ayant besoin de rien,
Lui dirent, mais tu te ruines,
Faut-il donner ainsi son bien ?
A chaque instant tu vois paraître
Des fainéants qui filent doux
Pour t'excroquer, tu les écoutes tous ;
Tu devrais les envoyer paître.
La Fourmi répondit, finissez ce discours ;
Je puis leur donner du secours,
Si je le puis, je dois le faire.

C'est fort bien dit ; on devrait soulager,
Non de son superflu, mais de son nécessaire,
Ceux à qui la Fortune est bizarre ou contraire.
À si belle action tout doit encourager.
Le plaisir le plus pur qu'on goûte sur la terre
Est le plaisir d'obliger.

Livre I, fable 6




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