L'Âne vainqueur du Lion Fleury Donzel (1778 - 1852)

Cherchant une proie, un lion
Sous ses pas trouve Aliboron
Et dit, en voyant cette aubaine :
Si ce gibier n'est pas très-bon,
Au moins le turons-nous sans peine.
L'Ane, à ces mots, rempli d'effroi,
Lui dit : « Seigneur, que ferez-vous de moi ?
Suis-je un morceau digne d'un roi ?
Vous ne mangeriez rien qui vaille.
On ne m'a, cet hiver, donné que de la paille :
Voyez plutôt.- le bois n'est pas plus sec. »
Le Lion, pour toute réponse,
Avait la griffe en l'air ; mais avant qu'il l'enfonce,
Le baudet, perdant le respect,
Lève une corne toute sale,
Et, sur la mâchoire royale,
L'applique avec vigueur. Des dents, tout un côté
Est emporté :
Sa majesté
En a la cervelle troublée,
Et reste un instant aveuglée
Par le sang qui jaillit aux yeux.
L'Ane aussitôt d'enfiler la venelle.
Dès qu'il eût lavé sa prunelle,
Le roi des forêts, furieux,
Chercha son ennemi. Ce fut peine perdue.
Oublier sa déconvenue,
Est ce qu'il: put faire de mieux.

Aliboron, battant sa majesté Lionne,
Me rappelle Saint-Jean-de-Lone
Arrêtant l'Espagnol vainqueur ;
Et ce n'est pas la seule époque
Où l'on ait vu, devant une bicoque,
D'un conquérant échouer la valeur.

Livre I, fable 7




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