Les deux Rats Fleury Donzel (1778 - 1852)

Tes temples sont déserts, et mes sermons sont vains,
Indulgence ! J'ai beau te vanter aux humains ;
Cette impie et coupable engeance,
Tout oreilles pour la vengeance,
Est sourde à ma voix, à mes cris.
Me lasserai-je point de prendre tant de peine
A ramener à toi les cœurs et les esprits ?
L'insulte, l'outrage et la haine,
Monstres échappés des enfers,
Règnent sur ce triste univers :
Si, dans ce désordre effroyable,
La nature a perdu ses droits ;
Que produira ma faible voix ?
Que dois-je attendre d'une fable ?
Amis dès l'enfance, deux Rats
Très prudents, très-rusés et tel qu'on n'en voit guères,
Avaient mis en défaut les chats,
Les pièges et les souricières.
Désespérant de les avoir,
Grippeminaud allait cesser db îes poursuivre,
Et longtemps ils auraient pu vivre
En paix au fond de leur manoir,
Si la Discorde enfin n'eût troublé leur ménage.
Elle choisit, pour cet ouvrage,
Un jour qu'ils traitaient leurs amis.
Jours de gala sont ses jours favoris.
11 s'agissait de quelques démentis
Donnés reçus : le fait était notoire.
Chacun à s'enflammer fut prompt ;
Chacun fit consister sa gloire
A laver dans le sang un si cruel affront.
En vain les conviés, ce jour, les séparèrent :
Dans un livre fameux qu'autrefois Us rongèrent,
Les deux Rats avaient lu qu'à moins d'un prompt trépas.
Les affronts à l'honneur ne se réparent pas.
Le lendemain ils se cherchèrent,
Et bientôt ils se rencontrèrent,
A l'instant mes deux furieux
Des pieds, des dents, font de leur mieux,
Résolus à ne lâcher prise
Que lorsqu'un des deux serait mort :
Mais ce leur fut un commun sort :
Car, profitant de leur sottise,
Grippeminaud survient qui se mêle au combat,
Et, d'un seul coup de griffe, apaise le débat.

Livre I, fable 6




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