Pressés par la famine
Et casernes dans leurs trous,
Les rats faisaient grise mine,
Tandis que messieurs les matous
Rôdant par le voisinage,
Flairaient ici, guettaient plus loin ;
Toutefois ayant soin
De ruser sans faire tapage.
C'était à ne plus y tenir :
Les deux partis, en guerre déclarée,
Souffraient beaucoup. Mainte robe fourrée
Ne couvrait que des os. Il faut en convenir,
La faim excitant la rage,
Pousse au carnage
Or, les rats, prévoyant mille assauts désastreux,
Trouvons, se dirent-ils, quelque moyen facile
Et pourtant peu dangereux,
D'échapper à la grifse agile.
Au conseil aussitôt se rendent les vieillards,
Suivis par les ratons, qu'accompagnent leurs mères,
Tous bien penauds et peu gaillards.
Le plus ancien se lève : « Amis, citoyens, frères,
Irons-nous nous livrer tous à la bonne foi
D'un adversaire implacable ?
— Plutôt mourir... — Ainsi, je vois
La mort inévitable,
Soit que nous restions ici;
(Hélas ! depuis huit jours, nous vivons de régime
Et la faim nous décime !)
Si nous sortons, on nous prend sans merci:
Nous trouvons le trépas dans la double hypothèse,
Et loin de là je n'aperçois moyen
De nous sauver: vous le voyez, ma thèse
Est celle d'un logicien.
Cependant, mes amis, ne perdons pas courage :
Les dieux m'ont inspiré...
Et ce présage
Est un secours inespéré.
Sous cette voûte, un assemblage énorme
De poulardes, de lard, .
A mon avis, si chacun se conforme,
Nous promet une bonne part.
Fouillons la terre, et creusons une route...
Lors tout-à-coup messieurs les chats,
Sans doute,
Pour le garde-manger négligeront les rats.
Gorgés de nourriture,
Ils dormiront et le jour et la nuit;
Nous pourrons donc, sans bruit
Et sans trembler, chercher pâture.
Je finis : saisissons la planche de salut ;
A l'œuvre! le temps presse !
Pour arriver au but,
De creuser que chacun ne cesse. »
Aussitôt le vieux rat, habile ingénieur,
Se fait le premier travailleur.
Le lendemain, dès l'aurore,
Le rat mineur
Sur la tranchée arbore,
Comme un triomphateur,
Sa couleur.
Tout en visitant la viande,
Sans retard, le major ordonne que sa bando
Gagne un lointain réduit,
A petit bruit.
Messieurs les chats sont pris au piége :
Pendant un mois la troupe assiège
Et prend le ^arde-manger.
Ils deviennent ventrus, gras à mettre à la broche,
Lourds, massifs, fainéants : tout raton les approche
Sans danger.
Aussi dit-on que l'oreille
Du matou
Qui sommeille
De plus d'un rat fut le joujou.
— L'histoire parait fabuleuse :
Il faut pour l'adopter, une foi vigoureuse.
— Moi je la crois : autres gens que les chats
Pour un dîner ont vendu leurs mandats.

Livre II, fable 8




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