Un bouledogue, un loup, deux mortels ennemis,
Se disposaient un jour à se livrer bataille :
Mais le dogue étant de taille,
Maître loup recula, « Frère, je suis soumis
À la plus terrible épreuve :
Hier, en passant un fleuve,
Je me suis mouillé jusqu'aux os :
Un gros rhume, une toux creuse
Me rendent peu dispos
A vous faire raison : votre âme généreuse
M'excusera. »
Le chien considéra
Qu'il avait, pour ce jour, une importante affaire,
Et souscrivit à ce préliminaire.
Donc il passe outre, et poursuit son chemin,
« Deux mots encor : si votre seigneurie
Le trouve bon, jusques à la prairie
Je l'accompagnerai ; j'y vais, car un devin
M'a donné rendez-vous ; je veux à sa science
Soumettre quelqu'exploit, trouble de conscience
Qui, depuis douze jours, me prive du sommeil:
Vous voyez, j'ai besoin d'un ami, d'un conseil.
Je suis las et bien las de vivre à l'aventure,
Tantôt de me défendre, et tantôt d'outrager
Et brebis et berger.
Quand je pense à la mort, frère, je vous le jure,
Je veux changer... »
Le chien est bon, il est candide.
Mémo parfois il en devient stupide.
Le voici donc sermonnant notre loup
Qui l'écoute et parait, au fond, goûter beaucoup.
Sa morale.
Encouragé, l'orateur intercale
Dans son discours quelques mots généreux;
Propose au converti de se rendre à la ville
Pour y couler des jours heureux,
« Suivez-moi, lui dit-il, je vous offre un asile;
Je connais Léopard et je vais à la cour:
Moins habile que vous y trouva la fortune :
Je veux donc vous pousser, et là, vous voir, un joue,
Tout puissant, à l'abri du froid et de la brune.»
Le loup lui fait tous ses remerciements :
Il ne se sent plus d'aise...
« Oui, seigneur, je me rends à vos raisonnements,
Mais qu'il vous plaise
M'apprendre vos honneurs et voire dignité,
— Je représente ma province,
Et mon pays m'a député
Pour être son tuteur et régenter le prince
En le soumettant à la loi.
— Vous gouvernez !- Non pas. — Que faites-vous ? — J'opine
Contre les factieux. — Vous jappez... Je devine
Votre emploi.
Mais qu'avez-vous au col? l'on dirait d'une chaîne!
Est-ce que par hasard... dites, je suis en peine».
—Rassurez-vous ; cette marque d'honneur
Annonce mon indépendance.
—A d'autres, monseigneur!
De votre révérence
Je suis le serviteur.
Je crains les gens qui portent chaîne ou plaque;
Celui-ci vous déchire et celui-là vous traque :
Pour chien et garde forestier
Tout est de bonne prise, et tout devient gibier.
Si j'allais à la cour je défendrais mes frères:
Mais, je le vois, bon nombre de cerbères
Y dépouillent les moutons...
Adieu : dites encor : les loups seuls sont gloutons ! »

Livre II, fable 9




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