Le Chien et le Loup Bourgeois-Guillon (19è siècle)

Je ne sais pour quelles affaires
Moufflard avait reçu les étrivières.
Le chien n'est pas rancunier, dit-on ;
Mais celui-ci, dans sa colère,
Pestait de la belle façon.
Oh ! que le loup, disait-il, eut raison
Aux faux attraits de ma condition
De préférer l'air libre et la misère !
Que comme lui !... Le loup l'entend : eh bien I
Dit-il à notre pauvre chien,
Viens dans mes bois, quitte ta loge ;
Il n'est besoin de te faire l'éloge
Et de ma vie et de ma liberté !
D'un valet, d'un maître irrité
Tu braveras les injustices,
Viande fraîche, soir et matins
Faute d'agneau, lièvre ou lapin 4
Suis-moi, tu béniras bientôt notre destin i
Vas, tu perdras bientôt le faux goût des épices.
Dans mon charnier tu feras tes délices
De ce qui reste de Robin
Dont Guillot fait encore l'oraison funéraire :
Viens-tu ? Partons dit l'autre. A travers la bruyère
Les voilà de courir vers quelque bois voisin.
Maître loup n'est pas fort sur son train de derrière.
D'un chasseur maladroit jadis un premier coup
Légèrement blessa messire loup.
Qu'avez-vous, dit Moufllard ? vous avez courte haleine :
Rien, dit l'autre. Ils n'ont pas encore quitté la plaine,
Qu'aboiements de chiens par vingtaine,
Hennissements de chevaux, son du cor,
Et de tayaut, tayaut mainte roulade
Font rebrousser le loup. Qu'est-ce là, camarade,
Dit le chien ? - Rien. - Quoi rien ? - Rien dis-je. - Mais encor ?
— C'est du seigneur du lieu quelque battue.
Après quelque vieux cerf peut-être il s'évertue.
Hein !... peut-être demain ce sera notre tour,
Reprend Moufflard ; je vois, et la nuit et le jour,
Tu dors, tu digères à peine ;
Coup de fusil, coup de gueule est l'aubaine
De ta libre condition,
Je dors et je digère en paix chez mon patron !..
Bref : puisque tout état ici- bas a sa peine,
Peut-être on n'a pas vu que j'ai rompu ma chaîne,
Je m'en retourne à la maison.

Livre III, Fable 11


Imité de La Fontaine

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