L'Ours peut changer d'habit, jamais de caractère.
Un vieil ours, autrefois,
Trouvant ses hauts faits peu courtois,
Cherchait un saint confrère,
Qui, comme lui, du monde dégoûté,
Pour son salut voulût se faire ermite.
Un singe, jongleur émérite,
Par sa friponnerie au loin accrédité,
Aux alentours avait fixé son gîte.
Maître Gilot, c'est le nom du larron,
Reçoit le prédicant, et goûte assez l'affaire.
« Bravo! dit-il ; je vous prends pour patron,
Et dès ce jour j'endosserai la haire :
Nous vivrons à gogo, sans crainte des sergents,
Faisant contribuer les gens
Qui, pour prier le saint de l'ermitage,
Viendront en pèlerinage :
Vous verrez si je suis manchot
Entendons-nous, maître Gilot,
Reprend notre ours ; la pénitence,
Le jeûne et les soupirs
Ne nous rendront l'innocence
Que si nous imposons un frein à nos désirs.
Je me suis trop longtemps engraissé de carnage ;
Et tout le voisinage
A mon aspect tremble d'effroi.
Il faudra donc que la mansuétude,
La charité, la foi
Habitent cette solitude:
Sans cela mon salut court le plus grand danger.
Et vous aussi, mon frère', avez à corriger
Cent ruses, cent détours que votre coeur perfide
Enfante sans travail. Vous me trouvez rigide !
— C'est vrai; mais nous visons à devenir des saints;
Renonçons, sans tarder, aux vices des mondains »
Notre singe se croit pénétré de la grâce;
Il promet tout, se repent, et compassé
Son maintien, son regard.
Voyez-vous nos reclus prenant l'air d'un frocard,
Laissant pousser leur poil à l'aventure,
Et n'ayant pour parure
Qu'un chapelet, un médaillon
De saint Gilot représentant l'image !
Le singe moinillon
De son confrère obtient le nom de sage.
Un air soumis et doux,
Le goût de la prière
Ont remplacé les tours de gibecière.
« Du passé je vous absous,
S'écrie, avec transport, notre vieillard ermite,
Et je me félicite
De m'être retiré dans ces lieux avec vous.
Vous m'appelez votre frère !
Aujourd'hui, mon cher confrère,
Je rends hommage à vos perfections;
Vous avez dépassé toutes prévisions. »
L'ours et frère Gilot, unis de cœur et d'Ame,
Tous les deux embrasés d'une céleste flamme,
Vivaient de racines et d'eau,
Simples produits des vallons, du ruisseau,
Voisins de leur ermitage.
Au bout de quinze jours, deux brebis du village,
Sans berger et sans chiens,
Ayant leurs vertus pour gardiens,
Viennent faire un pèlerinage.
« Belle toison, dit le frère Gilot:
Mon habit est râpé; co serait bien mon lot.
— Fi donc! reprend le vieil ermite:
Et pour un cénobite
Votre désir est criminel! »
Tout en parlant ainsi, Jacques, le bon apôtre,
Jette un regard charnel
Sur les brebis... Et comme l'une et l'autre
Avaient de l'embonpoint:
« Le ciel nous sert à point...
— Oui, n'est-ce pas demain le grand jour de la Pâque?
Poursuit le frère Jacque.
Egorgeons l'agneau pascal...
Après l'acquit de ce devoir légal,
Nous reprendrons du jeûne et de la pénitence
Les douces lois...»
Il dît : et les coquins emportent dans les bois
Les deux brebis, et font bombance.

Livre II, fable 10




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