Un lion chargé d'ans , et las de guerroyer,
Traînait depuis longtemps une vieillesse obscure ;
Enfin, ne pouvant plus différer de payer
Le tribut qu'à regret on paie à la nature ,
Il fit venir son vizir le renard.
De mes desseins secrets je t'informe un peu tard,
Lui dit-il; à tes soins , à ton intelligence,
Du lionceau mon fils j'abandonne l'enfance.
Ami, garde avec soin ce dépôt précieux :
A reconnaître un piège accoutume ses yeux ;
De tout projet cruel détourne son audace :
Que mon fils soit aimé ; près de lui tiens ma place ;
Sois-lui toujours fidèle ; et je meurs satisfait.
En achevant ces mots il expire en effet.
Le bruit s'en répandit dans la forêt prochaine :
D'un tigre factieux elle étoit le dɔmaine ;
Dès l'instant qu'il apprit la mort du vieux lion,
Du jeune lionceau craignant l'ambition,
Dans sa tête il forma le projet de détruire
Celui dont la grandeur pouvait un jour lui nuire.
Ambassadeurs secrets arrivent de sa part.
Les plus hardis courent en diligence
Conférer avec le renard,
Qui , sous espoir de forte récompense,
Promit de le servir ; et, le jour convenu,
Il conduisit son roi dans un bois solitaire
Vers un piège à lui seul connu.
Voilà le lionceau plus de six pieds sous terre ;
Il tente par ses bonds de s'élancer dehors :
L'autre rit en secret de tous ses vains efforts,
En conçoit une horrible joie ;
A son malheur pourtant il feint de prendre part.
Mais quand le tigre enfin se vit sûr de sa proie,
Sous sa griffe étendue il abat le renard,
Qui déjà d'un air d'assurance
Lui demandait sa récompense.
Sa récompense fut la mort.
Traîtres , d'avance apprenez votre sort.