Le Lion, les jeunes Tigres et les Panthères Fortuné Nancey (? - 1860)

Un lion usant de sa force,
Ayant vaincu le tigre et sur son ennemi
Voulant que son pouvair demeurât affermi.,
Avait, amour de paix, quoique trompeuse amorce,
Exigé que pour l'avenir
Auprès de lui restassent comme otages
Quelques tigres enfants, qu'à cause de leur âge,
Il croyait élever suivant son bon plaisir.
Leurs cousines, leurs alliées,
Dames panthères aussi,
A ce traité de paix furent associées ;
Notre lion en espérait ceci,
Car de tout pacte, hélas ! qui donc pourrait exclure
L'intérêt qui toujours en donne la mesure.
Son intérêt à lui dans ce marché royal
Était de rester sans rival,
Et de mettre fin à la guerre
Que pour la moindre proie, au tigre à la panthère
Il fallait livrer chaque jour.
Or, avec tous les soins d'un paternel amour,
Il sut veiller sur leur enfance,
Espérant adoucir un penchant naturel,
Un instinct vorace et cruel,
Chose dont ils n'auraient que vague souvenance.
Quelques mois écoulés, tout allait pour le mieux,
Et le lion à sa prudence,
Applaudissait en songeant que lui vieux,
Il n'aurait pas toujours même vaillance
Et ne régnerait plus par le droit du plus fort.
De leur côté, soumis à ces lois passagères,
Jeunes tigres, jeunes panthères
Grandissaient maudissant le sort
Qui leur laissait regrets et chaînes,
Sans chez eux éteindre les haines.
Ils regrettaient la liberté,
Car autour d'eux de solides entraves
Les rendaient à jamais esclaves.
Ils déploraient aussi qu'à leur voracité
On mit un frein qu'ils ne pouvaient comprendre.
Mais d'un cœur résigné que ne peut-on attendre ?
On fait vertu dit-on de la nécessité.
L'un d'eux vit à l'user, qu'en se montrant docile,
Souple., flatteur, accommodant,
Sur l'esprit de son maître il lui serait facile
De prendre un certain ascendant.
Il en profite donc, et cette découverte
Fut assez pour causer la perte
Du lion, qui ne sut ouvrir à temps les yeux.
Mais comment soupçonner un cœur bas et perfide
Sous une écorce et soumise et timide !
Ce jeune tigre était si mielleux,
Si prêt toujours à flatter, à sourire,
A se courber devant ce vain empire.
Qu'à la même heure il minait sourdement ;
Qu'à moins d'être prophète, on n'aurait pu vraiment
Croire à si noire perfidie.
Notre lion pourtant dut l'apprendre plus tard,
Quand le jour vint pour le cafard
De la fin de la comédie.
Tandis qu'il s'endormait sur le traité juré,
Qu'une soumission aveugle autant que basse
Lui faisait regarder comme toujours sacré,
Le jeune tigre lui de son rôle se lasse.,
Et de ce joug bientôt veut être délivré.
Mais il faut qu'en ses mains l'ennemi sans défense
Tombe enfin ; il le flatte et le trompe si bien,
Que renonçant à la prudence
Le lion voit en lui son plus ferme soutien,
Le sournois contre lui fait tourner sa clémence,
Mais il l'endort encor par un air souriant,
Tandis qu'à son secours il appelle ses frères
Et ses cousines les panthères,
Qui tombent à l'envi pour venger leurs misères
Sur un maître trop confiant.

Souviens-toi bien que plus d'un parasite
De toute puissance est jaloux ;
Que pour mieux à tes yeux dissimuler ses coups
Il sait prendre au besoin la mine humble et petite,
Mais sache lire dans ses yeux
Et reconnais un hypocrite
A son air doux et mielleux.

Livre III, fable 16




Commentaires