Le Chardonneret et le Hibou Gabriel-T. Sabatier (19ème)

Que vais-je devenir ? s'écriait un hibou,
Je n'ai plus d'appétit, je n'ai plus de courage
Du matin jusqu'au soir je reste dans un trou ;
De moi chacun se moque, aussi comme j'enrage !
On m'évite, on me hait ! depuis que je suis vieux,
Sitôt que je parais, l'on détourne les yeux.
Ah ! du matin au soir je puis pousser ma plainte
Sans voir un seul ami venir me consoler !
Loin de moi, promptement, chacun sait s'envoler.
Je suis bien malheureux pour le dire sans feinte. »
Un gai chardonneret qui volait à l'instant
Au milieu du bosquet, entend cette complainte
Et dit au vieux hibou : « Tu n'es jamais content !
Mon ami, laisse-moi te parler sans contrainte :
Tu te lamentes trop ; aussi de jour en jour,
Ton fardeau, sois en sûr, va devenir plus lourd.
A quoi cela sert-il d'étaler sa misère ?
On fait fuir amis et voisins !
Et l'on double ainsi ses chagrins ;
Souffrons sans rien dire, mon frère,
Et de notre malheur nous serons moins confus.
Veux-tu de l'amitié connaître la tendresse ?
Sache to dépouiller de ta noire tristesse ;
Ne vis pas toujours en reclus.
Mon pauvre vieux hibou, je le dirai sans cesse :

C'est la douce amitié qui garde de l'ennui ;
Sans elle, sache-le, bientôt tout devient fade ;
Un rien vient nous rendre maussade,
Et loin de nous, enfin, tout bonheur s'est enfui ! »

Livre I, Fable 17, 1856




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