L'Éléphant et le Rhinocéros Gabriel-T. Sabatier (19ème)

Dans un fleuve, au fond de l'Afrique,
Sous les feux ardents du Tropique,
Un jeune éléphant se baignait
Et très bruyamment s'ébattait.
Un rhinocéros, fort en peine
De savoir d'où pouvait provenir tant de bruit,
Sort à pas lents de son réduit,
Inspecte d'un coup d'œil et le fleuve et la plaine,
Et voit au beau milieu de l'eau
Le bruyant éléphant s'exerçant à la nage.
Il s'approche alors du rivage
Et dit à l'éléphant : « Vous n'êtes pas très-beau,
Je n'ai jamais rien vu d'aussi laid dans ce monde !
On chercherait en vain sous la voûte des deux
Quelqu'un plus laid que vous ; avec vos petits yeux
Et votre horrible masse ronde,
Vous n'êtes après tout qu'un animal affreux ! »
L'éléphant lui répond : « J'en convions, oui, ma taille,
Mes oreilles, mes yeux, no plaisent pas à tous,
Mais, pourquoi te mets-tu tellement en courroux ?
Je suis désolé qu'il me taille
Te dire, que ta peau plus dure que rocaille,
Ton nez cornu, tout ton ensemble enfin
Devraient bien t'empêcher de rire d'un voisin.
Je comprendrais fort bien que la svelte gazelle
Trouvât mon corps un peu trapu ;
Mais qu'un rhinocéros vint me chercher querelle
Sur mon corps gros et laid.... je ne l'aurais pas cru ! »

Hélas ! chez les humains l'on répète ce thème :
Les défauts chez autrui, nous les voyons fort bien,
Dès qu'il s'agit de nous, nous ne voyons plus rien !
En sera-t-il toujours de même?

Livre I, Fable 18, 1856




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