L'Éléphant en faveur Ivan Krylov (1768 - 1844)

Au roi lion ayant su plaire,
L'éléphant, un beau jour, parvint aux dignités ;
Mais les hôtes des bois, d'un tel choix dépités,
En glosaient assez haut, et, comme l’ordinaire,
Chacun faisait son commentaire.
« D'où viennent, disaient-ils d'un air trés intrigué,
A si pauvre sujet ces faveurs singulières ?
Il est affreux, il n'est pas gai,
Rien d'aimable ou de distingué
Dans son port et dans ses manières. »
Et les caquets d'aller. « Ah ! dit maitre Renard
Déroulant sa queue avec art,
S'il avait à montrer ce soyeux appendice,
Sa faveur à coup sûr, aurait été justice,
Et j'y pourrais du moins applaudir pour ma part.
— Si de griffes, dit l'ours, sa patte était pourvue,
Tout pourrait s'expliquer, et nul ne dirait rien :
Cet agrément l'eût mis en vue ;
Mais il en est privé, chacun le sait très bien.
- Eh! dit alors le bœuf, prés de sortir des bornes,
Il a de longues dents ; sans doute il leur a dû
De la faveur du roi l'honneur inattendu :
Qui sait si l'on n’a point pris ses dents pour des cornes ! »
L'âne, faisant claquer sa double oreille en l'air :
« Je sais, dit-il, pourquoi l'on a faveurs pareilles ;
Voulez-vous le fin mot ? Pour moi, le fait est clair :
S'il a plu, c’est par ses oreilles ! »

Par la jalousie excités
A noter les défauts des autres,
Nous leur cherchons des qualités
Pour attirer l’œil sur les nôtres.

Livre I, fable 4




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