Le Renard et l'Éléphant Frédéric Jacquier (1799 - 18?)

« Tigres, singes, lions, panthères et taureaux,
Ours, et ;vous tous enfin, illustres animaux,
Je cède à votre impatience,
Et je commence :
Depuis cinq mille et huit cent cinquante ans
Que dans sa sagesse profonde,
Il plut à Jupiter de-fabriquer le- monde,
Tout marche en dépit du bon sens.
Tout à rebours de ce qu'il voulait faire,
Car il tombe sous la raison
Qu'en nous pétrissant tous de la même manière,
Avec le même limon,
Le puissant maître du tonnerre
Avait l'intention.
Qu'entre les animaux tout fût commun sur terre.
Cependant !... promenons, les yeux autour de nous,
En arrière, en avant ; dites, que voyez-vous ?
Des choses tout à fait, criantes
Et révoltantes,
Des choses dont l'iniquité,
En vérité,
Fait frissonner toute âme honnête,
Et dresser le poil sur la tête !
Qui d'entre vous ne s'en indigne pas ?
Le luxe, les plaisirs ; toits les biens d'ici-bas-
Sont répartis dans l'espèce animale '
D'une façon tout à fait inégale,
Contre les lois de l'équité,
Et contre le bon sens lui-même.
Mu par l'amour de l'animalité,
Je viens vous proposer de changer de système
Suivez l'impulsion de vos cœurs ; que chacun
Par un sentiment de justice,
Faisant de tous ses biens un noble sacrifice,
Consente aujourd'hui même à les mettre en commun
Et nous les apporte au plus vite.
Chacun de nous dans la communauté,
Où régnera l'égalité,
Sera classé, numéroté,
Suivant son degré de mérite,
D'esprit et de capacité,
Bref, son degré d'intelligence.
L'âne et le bœuf, à leur naissance,
Reçurent un esprit, un cerveau très borné,
Aperçoivent à peine au delà de.leur nez ;.
L'un et l'autre, en raison de leur force mentale,
Écumeront de pair la marmite animale.
Le zèbre et le mulet, tous deux un peu moins sots,
Seront à des degrés plus hauts ;
Ainsi de suite,
Suivant l'esprit et le mérite. »
Ayant ainsi parlé, maître Renard s'assit.
L'éléphant, à son tour, dresse sa trompe et dit :
« Sans contestation aucune,
L'honorable orateur qui quitte la tribune
A fait preuve d'habileté ;
Mais quand il vient prêcher avec tarit d'éloquence ;
L'égalité,
Et quand avec tant d'insistance
H nous demande que chacun
Apporte ses biens en commun,
Il est, je crois, de la prudence,
(Honni soit qui mal y pense
D'observer que maître Renard
N'y peut rien mettre pour sa part,
Par cette raison très profonde,
Qu'il ne possède rien au monde, »

Je sais des gens qui, comme lui,
Arborent aujourd'hui
La bannière du communisme
Sous leur masqué de rigorisme,
Que s'offre-t-il à mes regards ?
Des renards.



Titre complet : Le Renard et l'Éléphant devant une assemblée d'animaux

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