Une longue perche a la main,
Un manant conduisait des oisons 4 la ville ;
Mais, sil faut parler franc, tout le long du chemin,
Il traitait son troupeau de [acon peu civile.
(était jour de marché, notre homme était pressé,
Et, lorsque l'intérêt se mêle en quelque affaire,
La bête en peut partir quand "homme est tracassé.
Ce rustre avait-il tort ? Je suis d’avis contraire ;
Mais j'avouerai que nos oisons
Pour juger autrement avaient bien leurs raisons.
Harcelant les passants qu’ils trouvaient sur leurs voies,
Tous en cris déchirants exhalaient leur douleur :
« Fut-il jamais plus grand malheur ?
Nous traiter ainsi, nous, des oies !
Voyez comme un rustre ignorant
Et nous pourchasse et nous étrille !
Ne dirait-on pas qu'il nous prend
Pour des oisons de pacotille !
Ce drôle a-t-il jamais songé
Qu’à nous porter respect tout homme est oblige,
A nous qui descendons des illustres volailles
Qui du saint Capitole ont sauvé les murailles ?
Rome ordonna (notez ceci !)
Qu’on leur consacrerait des fêtes !
— Et vous, dit un passant, vaniteux que vous êtes,
Vous voulez pour ce fait qu’on vous honore aussi ?
— Oui, jadis nos aieux... — Je sais, j'ai lu l'histoire ;
Mais vous, qu'avez-vous fait qui soit si méritoire ?
Nos aïeux, dans l'antiquité,
Nous l'avons dit, ont sauvé Rome !
— Oui, ce point n'est pas contesté ;
Mais, vous, qu’avez-vous fait, en somme ?
— Nous ? Nous n'avons rien fait. — Rien donc ne vous est dû !
Laissez là vos aïeux, mes amis, sans reproche,

L'honneur qu’ils méritaient leur fut jadis rendu ;
Mais vous, vous n’êtes bons qu’à rôtir à la broche ! »
Ma fable est-elle claire, ou dois-je encore chercher
A l’éclaircir par d'autres voies ?
—Non: d'aucuns pourraient s’en fâcher ;
Gardons-nous d'agacer les oies.

Livre I, fable 3




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