Le Singe, le Chien et l'Éléphant Joseph Barthélemy de Feraudy (1762 - 1831)

Un singe, petit-fils de ce croque-marrons
Qu'avait mis autrefois si gaîment sur la scène,
Avec le chat raton, le naïf La Fontaine,
Et qui, comme l'aïeul, était des plus larrons,
Se fit un jour marchand, et prit une boutique.
Quoiqu'il mît à frauder toute sa rhétorique,
Ayant peu de comptant, achetant à crédit,
Pour subsister mangeant le fonds et le profit,
Il serait à coup sûr tombé dans la misère,
Si par réflexion le délié compère,
En digne rejeton de l'escroqueur Bertrand,
Ne se fût ravisé de donner son bilan.
Aux poursuites d'abord il fallut se soustraire ;
Mais il est, on le sait, des accommodements.
En donnant vingt pour cent il termina l'affaire ;
Sa dette fut soldée en quatre paiements.
Se trouvant fort à l'aise après sa banqueroute,
Du commerce il reprit sans différer la route.
Instruit par le passé, cette fois, plus prudent,
Le drôle réussit, amassa de l'argent,
Et devint par la suite un riche personnage.
Comme de sa fortune il faisait étalage,
Il fut apostrophé par un malheureux chien
A qui, grâce à ses soins, il ne restait plus rien.
Notre banqueroutier l'attaque en calomnie,
Brûlant de se venger d'une telle avanie.
Voilà le pauvre chien traduit au tribunal,
Et tout paraît pour lui se disposer fort mal.
Après avoir ouï l'une et l'autre partie,
Le juge prononça : c'était un éléphant
Bien digne de tenir de Thémis la balance.
Il commença d'abord par blâmer le plaignant,
Qui, loin de redouter une pareille chance,
Au contraire croyait voir notre honnête chien
Humilié, confus, traité comme un vaurien.
L'impudent veut parler et troubler l'audience ;
Mais le juge ayant su le réduire au silence,
Lui dit : D'un malheureux tu retiendras le bien,
Et d'un mépris fondé, que tu mérites bien,
Tu veux qu'il soit puni, toi, l'auteur de sa perte ?
Écoute mon arrêt : Tu solderas le chien,
Ou tu seras coiffé de la barrette verte.
Ayant le chef couvert de ce signe apparent,
Alors, tel à nos yeux qu'un fripon doit paraître,
Vainement tu voudras faire encor l'impudent,
Car chacun aisément saura te reconnaître.

Si chez nous aujourd'hui notre sage éléphant
Pouvait mettre en vigueur semblable jugement,
À Paris comme ailleurs on verrait moins, sans doute,
De faquins s'enrichir en faisant banqueroute.