Mourir de faim, et n'être séparé,
Que par une cloison fort mince,
D'une salle où l'on fait une chère de prince,
Tel était le tourment, bien cruel, à mon gré,
Par une Souris enduré.
D'un recoin de la boiserie,
Elle avait vu servir un somptueux repas.
Elle avait entendu le cliquetis des plats ;
Vingt convives goûtaient des mets dignes d'envie.
Que faire ? de la faim l'aiguillon importun'
Tourmente, Dieu sait comme, une Souris à jeun.
Celle-ci se disait : sortons de ma cachette ;
Allons vite ronger une bribe, une miette.
Mangeant à petit bruit, trottant à petits pas,
L'éclat que je ferai ne me trahira pas.
Elle dit, sort du trou, tend l'oreille, regarde,
Hésite, puis, enfin, à trotter se hasarde.
Pouvait-elle offenser les gens ?
Hélas ! non. Sa démarche était peu condamnable ;
D'ailleurs, si les humains doivent être indulgents,
C'est surtout quand ils sont à table.
Cette fois cependant il n'en fut pas ainsi.
A peine la voit-on... Une Souris ici !
Un pareil animal avoir pareille audace !
Vite, qu'on 1 ùi donne la chasse !
Appelez Rodilard ! A ce nom redouté,
La pauvrette s'enfuit d'un pas précipité.
Deux fois,à demi-morte, elle arpente la salle
Fatale,
Et retrouve, à la fin, le trou qu'elle a quitté.
De là, tout en rêvant à sa tragique histoire,
La recluse, fort sotte, à ce que l'on peut croire,
Vers le lieu du festin tournait encor les yeux,
Quand soudain, un Bichon, au poil fin et soyeux,
Y vient, suivi d'un Singe histrion de la foire.
Azor saute, fort à propos,
Sur les genoux de la maîtresse,
Et tant la flatte et la caresse,
Qu'il reçoit de sa main les plus friands morceaux.
Fagotin, d'autre part, fait mille tours d'adresse,
Grimace au nez des assistants,
Et recueille, pour prix de ses rares talents,
Fruits et bonbons de toute espèce.
Hélas ! dit la Souris, du sein de sa cloison,
Je ne le vois que trop, c'est au seul misérable
Que le riche refuse un accueil favorable :
Il faut, pour être admis, jouer dans sa maison,
Le rôle de flatteur 7 ou celui de bouffon.