Le Philosophe et le Canon Stop (1825 - 1899)

Se promenant entre ses deux repas,
Un Philosophe, un jour, trouva devant ses pas
Un de ces engins que les Princes
Collectionnent à grands frais,
Tant pour garantir leurs bonnes provinces
Que pour s'expliquer avec leurs sujets ;
C'était, sur son affût assis en équilibre,
Un Canon du plus gros calibre.

« Te voilà donc, s'écria-t-il ;
Te voilà, brutale machine !
Ton informe et sombre profil
Comme un monstre accroupi sur le ciel se dessine !
Ta gueule jette au loin la terreur et la mort !
Les plaintes sont l'écho de ta voix formidable !
C'est toi l'expression la plus épouvantable
De l'infâme droit du plus fort ! »
Le Canon garda le silence ;
Mais, si de langue il eût été pourvu,
Voici ce qu'au Monsieur il aurait répondu :
« Imbécile ! à qui t'en prends-tu ?
Tu ne supposes pas, je pense,
Que tout seul je me suis fondu ?
Non ! c'est vous, animaux féroces,
Qui vous obstinez à forger
Un tas de machines atroces
Faites pour vous entr'égorger !
C'est de votre injustice et de votre sottise
Que vient le mal que nous faisons ;
Nous serions de bons compagnons
Sans la méchanceté qui vous caractérise.
Notre innocente voix devrait être toujours
Un signal de joie et de fêtes
Et n'annoncer, dans les grands jours,
Que de pacifiques conquêtes ;
Au lieu de nous multiplier,
Vous emploieriez le bronze à décorer vos rues,
Et l'on y verrait les statues
De Jacquart et de Parmentier. »

Jamais nous ne montons à la source des choses ;
Et pourtant, mieux vaudrait se délivrer des causes
Que de gémir sur leurs effets.
Que voulez-vous ? Nous sommes ainsi faits !

Fable 20




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