Un Cerf était amoureux
De sa Biche ;
Il en avait fait son fétiche
Et ne voyait que par ses yeux.
Mais, hélas ! il avait beau faire,
S'ingéniant à satisfaire
Jusque dans ses moindres désirs
L'objet de ses tendres soupirs,
Celle-ci, belle indifférente,
Et froide autant qu'il était exalté,
Accueillait sa flamme pressante
Avec une complète insensibilité.
Les cerfs, autant et plus que le simple vulgaire,
Sont exposés aux caprices du sort :
Devant une meute princière
Le nôtre un jour trouva la mort.
Sa veuve y mit de la franchise :
Heureuse de vivre à sa guise,
Elle n'étala point d'hypocrites regrets ;
Elle se mit à courir les forêts
Jurant de ne jamais avoir un nouveau maître3
Et sans façon envoyant paître
Les nombreux soupirants cornus
Pour la consoler survenus.
L'un d'entre eux, oubliant toute délicatesse,
La trouvant seule, un soir, au fond d'un bois,
Lui manqua de respect, comme fit autrefois
À la belle et noble Lucrèce
Tarquin, ce prince discourtois.
Elle pleura d'abord de honte et de colère j
Puis, par un singulier retour,
Cette audace opéra ce que n'avait su faire
De défunt son époux l'obéissant amour :
Son cœur s'ouvrit à la tendresse,
Et quand l'autre, sans politesse,
La planta là, ce qu'on pouvait prévoir,
Elle mourut de désespoir.
Souvent biche varie ;
Bien fol est qui s'y fie.