La Souris Philosophe Charles Desains (1789 - 1862)

Victime de l'appât trompeur,
Une Souris, jeune imprudente,
Un jour mordit la noix qui lâchait la détente
D'un trébuchet, instrument de malheur.
Sans force à ce moment, la pauvre prisonnière,
Après avoir fait maint effort
Pour sortir de la souricière,
Dans sa plainte accusait le sort,
Qui la venait frapper de mort
Dès le début de sa carrière.
Tant de jours de plaisirs m'étaient encor promis !
Se disait-elle en son petit langage ;
Les Chats ne viennent point dans ce vaste logis ;
Combien, avec mes bons amis,
Tout entière livrée aux ébats de mon âge,
N'aurais-je pas rongé de lard et de fromage !
Il n'y faut plus songer. Mais quoi ! sitôt finir !
Je suis à mon aurore ; est-ce à moi de mourir ?
Qu'une vieille Souris, dont la queue est pelée,
Par qui notre maison de Souris fut peuplée,
À la fin trouve le trépas
Sous la grifse du temps, ou de l'homme, ou des Chats,
Ce n'est que la commune chance.
Mais moi, dont le bonheur commence,
Qui suis dans la saison où règne la beauté,
Quand j'allais rendre heureux, par ma fécondité,
Le beau Souriceau qui m'adore,
Je ne veux pas mourir encore.

Et puis d'un long abattement
Sa doléance était suivie ;
On gémirait à moins. Tout à coup, se calmant,
Elle a faim, et conçoit l'envie
De ronger jusqu'au dernier grain
La noix, cause de son chagrin.
Pourquoi, dit-elle, ici ne pas faire bombance ?
La Parque ayant filé le dernier de mes jours,
Je n'en mourrai ni plus ni moins, je pense,
Et quand j'aurai rempli ma panse,
Ma foi, les coups du sort me paraîtront moins lourds.
Aussitôt fait que dit ; la noix est avalée.
A peine la Souris s'est-elle régalée,
Qu'elle fait pour sortir un nouveau mouvement,
Sans en espérer autrement
Le succès de son entreprise.
Mais ô bonheur ! ô surprise ! -
Du repas qu'elle a pris loin dé se repentir,
Elle s'en trouve bien plus forte,
El, poussant son museau sous le seuil de la porte,
Fait tant que cette fois elle peut l'entr'ouvrir,
Et s'enfuir !

Dans le malheur il faut de la philosophie ;
Le désespoir n'est bon à rien :
Il nous met hors d'état de profiter du bien
Auquel un sort plus doux quelquefois nous convie.
Ô vous, qui pâtissez des maux de cette vie,
Vous qu'un destin funeste afflige en ce moment,
Gardez de donner prise au découragement ;
Patientez un peu ; le temps, sur son passage,
Ne sème pas seulement le souci ;
Les plaisirs, le bonheur aussi,
Sont une part de son bagage.
Puisqu'on ne peut toujours souffrir,
Attendez la fin de l'orage
A l'abri de votre courage ;
Un meilleur temps va revenir.

Livre III, fable 24




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