Après avair longtemps réfléchi, médité
Sur les choses du monde et sur leur vanité,
Un ours se convertit, et se croyant l’étoffe
D’un sage, ou si l’on veut d’un docte philosophe,
Il en prit un matin et l’allure et le ton.
Comme le grand Socrate et le divin Platon,
Il enseigna, prêcha la vertu, la morale,
Obtint dès le début la faveur générale,
Et tous les animaux, jusqu’aux petits oursons,
Avec plaisir venaient entendre ses leçons.
De l’opprimé toujours il prenait la défense,
Partout on admirait sa bonté, sa prudence.
Pour le bien plein de zèle, il assemble un beau jour,
Au fond de la forêt, les bêtes d’alentour :
« Mes amis, » leur dit-il de sa voix la plus douce’,.
« L’amour que je vous porte à vous prêcher me pousse.
» Soyez, mes chers amis, toujours bons, généreux :
» Quand on vit dans le mal on est si malheureux !
» Ah ! croyez-en celui qui devant vous s’accuse
» De ses anciens forfaits, sans admettre d’excuse. »
L’émotion gagnait les habitants des bois,
Car l’orateur avait des larmes dans la voix.
« Voulez-vous, i> reprend-il, « éviter le supplice
» Du remords ? Loin de vous la fraude et l’injustice ;
» Gardez-vous l’âme pure et le cœur innocent ;
» Que votre dent jamais ne répande le sang ;
» Pour les fautes d’autrui soyez pleins d’indulgence,
» Et sachez au prochain pardonner une offense ;
» Retenez bien ceci : le royaume des cieux
» Appartient seulement aux miséricordieux. »
Lancé sur ce sujet, notre ours en allait dire
Sans doute bien plus long : mais il voit un sourire
Passer sur l’assemblée ; on lui semble distrait ;
Orateur maladroit, est-ce qu’il déplairait ?
Lui serait-il enfin échappé par mégarde
Un mot malencontreux ? Il s’arrête, il regarde,
Et voit derrière lui riant, gesticulant,
Le tournant en risée, un gros singe insolent.
Oubliant aussitôt la bonté, la clémence
Qu’à l’instant il prêchait ; altéré de vengeance,
L’ours au cruel instinct saisit le malheureux,
Et l’étouffé soudain dans ses bras vigoureux,
Prouvant aux animaux effrayés, et pour cause,
Qu’agir et conseiller ne sont pas même chose.