Le Rat et le Canon Étienne Azéma (1776 - 1851)

Un Rat avait son domicile
A quelques pas d'un fort. Un vieux trou de rocher
Lui servait de chambre et d'asile.
Il pouvait y vivre tranquille,
Ayant le toit et le coucher.
Mais on aime à changer de place ;
Ce qu'on a ne plaît pas longtemps.
Moins sage que le Rat des champs
Du bon La Fontaine et d'Horace,
Il trouvait son gîte mesquin,
Les pailles de son lit pas assez délicates.
Il déserte un beau jour, emportant ses pénates.
Chemin faisant, le Pèlerin
Voit un Canon de gros calibre
Qu'on venait de charger. C'est un palais d'airain,
Dit-il tout bas. Je suis bien libre
D'en faire mon logis. Il entre et va loger
Parmi la ferraille et la poudre.
Il s'allonge, il dort, sans songer
Que son nid va vomir la foudre.
Pendant qu'il ronfle, un artilleur
S'en vient sans bruit, portant une mèche allumée,
L'applique à la lumière, et la poudre enflammée
Faisant explosion, lance au loin mon dormeur
Qui s'envole avec la mitraille.

Nous nous ennuyons d'être heureux ;
Un vague désir nous travaille ;
Et nous rêvons toujours le mieux.
Un bonheur obscur importune.
L'homme veut des palais, du bruit et de l'éclat.
Qu'en revient-il souvent ? un coup de la fortune
Vous l'emporte comme ce Rat.

Livre III, Fable 18




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