Les canons d'un vaisseau, la tête à leurs sabords,
Cherchaient, un jour, dispute aux voiles,
Et, prenant à témoin les cieux et les étoiles,
A l'adverse partie imputaient tous les torts.
« O dieux! pouvions-nous nous attendre
A voir jusqu'à ce point pousser la vanité,
Qu'une toile chétive osât jamais prétendre
A l'emporter sur nous par son utilité !
Dans notre périlleux voyage,
Lorsque sur mer le vent soufflait,
Leur sein orgueilleux se gonflait
Pour leur donner les airs d'un puissant personnage,
Et toutes, fières comme un paon
Qui déploie en rond son plumage.
Se pavanaient sur l'Océan.
Leur train n'est que fanfaronnade;
C'est autre bruit quand nous lançons
Dans les combats la canonnade !
Sur toute mer où nous passons.
Par nous le vaisseau règne en maître ;
Sur nos pas on voit la peur naître.
Et la mort est dans nos caissons.
Non , nous ne voulons plus naviguer avec elles !
Nous prenons tout sur nous, soin, fatigue et danger.
Viens, ô puissant Borée! apporte sur tes ailes
Les vents dévastateurs qui sauront nous venger. »
Soudain Borée accourt. Un horrible nuage
Couvre d'un voile obscur l'Océan courroucé.
Et, sous le souffle de l'orage.
Le flot monte en grondant et retombe affaissé.
La foudre éblouit l'œil et rend sourde l'oreille ;
Sur la mer au chaos pareille
Borée avec fureur décliainant ses fléaux,
Des voiles qu'il déchire emporte les lambeaux.
La tempête a cessé ; mais déjà, sans mature,
Sans voiles, vain jouet des vagues et des vents.
Le vaisseau , comme un tronc, au sein des flots mouvants
Erre et dérive à l'aventure.
Vient alors l'ennemi; sur l'équipage il fond.
Faisant feu de tout bord, sa mitraille est terrible ;
Le vaisseau, troué comme un crible.
Avec ses canons coule à fond.
Chacun sert à son poste où le devoir l'oblige ;
La force qui s'unit fait l'État triomphant :
Par ses canons s'il se défend,
C'est par ses lois qu'il se dirige.