La Curiosité punie Antoine-Paulin Pihan (1810 - 1879)

Un homme, possesseur d'un panier rempli de serpents, l'emportait habituellement chaque matin, et s'en allait à la ville faire des tours pendant toute la journée pour gagner sa vie ; le soir, en rentrant chez lui, il cachait le panier en lieu sûr, à l'abri des regards des gens de sa maison et de ses enfants. La femme de ce bateleur, l'apercevant un soir à son retour, lui demanda ce que c'était que ce panier et ce qu'il renfermait ; car jamais elle ne l'avait vu dans ses mains.

« Quel besoin as-tu de savoir ce qu'il y a là-dedans ? lui dit le mari ; tu as largement de quoi vivre ; contente-toi donc de la part que Dieu t'a faite, et ne demande rien déplus. »

La femme-garda le silence ; mais intérieurement elle se dit :

« Il faut absolument que je voie l'état de ce panier et que je sache ce qu'il contient. »

Puis, ayant recours aux expédients, elle chargea ses enfants d'interroger leur père à ce sujet et de redoubler leurs instances. Les enfants s'imaginèrent fortement que le panier renfermait quelque chose de bon à manger, et chaque soir ils demandaient à leur père de leur en montrer le contenu ; mais celui-ci détournait la conversation, les caressait et les contentait de toute autre chose. Beaucoup de jours s'écoulèrent ainsi pour eux ; toutefois la mère les excitait sans cesse à s'informer de ce qu'il y avait dans le panier.

Enfin, ils convinrent avec elle de ne goûter d'aucune nourriture ni d'aucune boisson offerte par leur père avant qu'il n'eût satisfait à leur demande et qu'il ne leur eût ouvert le panier. Or, un soir, le père, qui avait apporté beaucoup de nourriture et de boisson, s'assit et les invita à manger ; mais ils refusèrent de s'approcher de lui et lui témoignèrent de l'aversion et de la colère. Il se mit alors à les caresser doucement et leur dit : « Que voulez-vous donc encore ? je vous apporte à manger, à boire, et même des friandises ! »

— « Père, répondirent-ils, nous ne te demandons qu'une chose ; c'est de nous ouvrir ce panier, afin que nous voyions ce qu'il y a dedans, sans quoi nous nous tuerons. »

— « Il ne renferme rien de bon pour vous, mes enfants, reprit le père ; mais beaucoup de mal. »

Cette réponse ne fit qu'augmenter leur colère. Quand il les vit dans cet état, il voulut leur faire peur et les menaça de les frapper, afin qu'ils ne fussent plus tentes de recommencer. Bientôt il se fâcha contre eux et saisit un bâton pour les corriger ; mais ils s'enfuirent de sa présence. Or le panier était encore à l'endroit où le bateleur l'avait caché. La femme de celui-ci, voyant son mari occupé avec ses enfants, s'approcha du panier et l'ouvrit au plus vite pour voir ce qu'il contenait. Tout à coup les serpents s'en échappèrent et tuèrent d'abord la femme, puis, se répandant par toute la maison, firent périr tous ceux qui avaient désobéi au bateleur, grands et petits. Quant à lui, il abandonna sa maison désolée et s'en alla où il plut au Dieu très-haut.





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