Certain marchand, très bien achalandé,
Vivait paisible et seul au milieu d'un village ;
Il vendait à prix fixe, et sans nul verbiage,
Aussi son drap jamais n'était-il marchandé.
Pour lui tout allait bien, quand une grosse troupe
De colporteurs, gens experts et retors,
Vint à passer ; aussitôt on s'attroupe
Près du nouveau venu. Ce marchand eut des torts :
On prétendit que son drap était mince,
Mal tissu, de fausse couleur,
Et qu'il avait, jusqu'alors, dans l'erreur
Entretenu le peuple et la province.
On lui soutint que le blanc était noir,
Qu'il devait, dans le feu, jeter sa marchandise ;
Et, comme il répondit avec trop de franchise,
Peu s'en fallut que dans la crise,
On ne le fît descendre au lugubre manoir.
Le monde est vieux, mais il n'est pas plus sage :
Des nouveautés toujours nous sommes éblouis.
Voulez-vous être cru ? mettez-vous en voyage :
Nul n'est prophète en son pays.