Les deux Sages du Pérou Franz Hermann Lafermière (1737 - 1796)

Il était au Pérou deux graves Personnages,
Le modèle accompli des Sages ;
Tous deux adoraient le Soleil,
Jouissaient d'une égale gloire :
De tous les deux le zèle était pareil,
La doctrine contradictoire.

L'un, suivant dans son cours cet astre radieux,
Transporté d'une sainte audace,
Sans clignoter le regardait en face.
Les pleurs en longs ruisseaux découlaient de ses yeux,
Et le saint homme avec courage
Aima mieux en perdre l'usage
Que de les détourner un seul moment des Cieux.

L'autre pensait tout au contraire,
Qu'il n'appartenait pas à de frêles humains
De contempler leur Dieu d'un regard téméraire,
Ni dans ce vaste luminaire,
Ni dans le moindre ouvrage échappé de ses mains.
Et que l'homme dans sa faiblesse,
Sujet à se tromper sans cesse
Ne pouvait rien faire de mieux.
Qu'adorer et fermer les yeux.
Ainsi fuyant le jour et la Nature,
Afin de n'être point tenté
D'ouvrir son œil à la clarté,
Il voulut habiter une caverne obscure
Où le Soleil ne pénétrant jamais,
Sans craindre de le voir, il l'adorait en paix.

Voilà comment tous deux, suivant une autre route,
Chacun parvint à ne voir goute,
L'un et l'autre par-là prouvant également
Qu'en matière de foi l'audace ridicule,
Et le puérile scrupule,
Sont deux sources d'aveuglement.

Fables et contes dédiés a Son Altesse Impériale Monseigneur le Grand Duc, Livre II, Fable XV




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