Rivoli ! d'un beau nom dignement décorée,
Pourquoi ta rue est-elle ainsi tout encombrée ?
A qui s'adressent ces honneurs ?
Cette foule immense vient-elle
Célébrer à l'envi le comte de Villèle ?
Vient-elle du ministre implorer les faveurs,
Indemnités, expectatives,
Titres, cordons, surtout places bien lucratives,
Et dans un dévouement aussi pur que loyal
Diriger tous ses vœux vers le trésor royal ?
Non, des solliciteurs je ne puis dans la rue
Reconnaître l'avide et brillante cohue.
Pas un seul financier, pas un seul député.
Ce sont de bonnes gens, de tout rang, de tout âge,
Des badauds qu'assembla la curiosité.
Sur un hôtel garni leur regard arrêté
Dès le matin attend le prince osage
De ses compagnons escorté.
Eh ! qui ne voudrait voir l'étonnant personnage
Qui, du Mississipi, dans nos murs est venu
Observer d'un peuple inconnu
Le costume, les mœurs, les arts et le langage ?
Comment un osage est-il fait ?
A-t- il deux pieds, deux mains, un nez sur le visage ?
Le désir de la foule, enfin, est satisfait :
Les Indiens daignent paraître.
O surprise ! ô transports ! comme le spectateur
Impatient de les connaître,
Fixe sur le balcon un œil observateur !
L'osage gravement salue
Les lecteurs de Bufson rassemblés dans la rue.
« Messieurs, dit-il, je comprends votre but,
Quoique je ne sois qu'un sauvage.
Tous, sans doute, savants, membres de l'Institut,
La science, à vos yeux, la plus digne du sage,
Est celle qui du Créateur
Lui fait étudier le plus parfait ouvrage,
Et d'un œil investigateur
Vous contemplez le nouveau phénomène
Qu'en nos lointains climats offre l'espèce humaine.
Mais, à bien moins de frais, votre ardeur de savoir
Pourrait se contenter encore.
Sans sortir de chez lui, chacun de vous peut voir
Ce qu'il cherche, ce qu'il ignore,
L'homme inconnu, nouveau, mystérieux,
Singulier, surprenant et qu'à peine il soupçonne ;
Bien plus qu'un pauvre osage, instructif, curieux.
Qu'il daigne réfléchir sur sa propre personne,
Descendre dans son cœur, en paix l'interroger :
Non, il n'est pas pour lui d'homme plus étranger. »