Pythagore et les Fous Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Des sous disaient un jour au sage Pythagore :
- Pourquoi certains mortels sont-ils plus beaux que nous,
Plus aimés, plus fêtés et plus riches encore,
Et pourquoi les dit-on plus sages ou moins sous ?
La nature pourtant, notre mère commune,
A dù créer pour tous la beauté, la fortune
Et jusqu'à l'esprit même ! Il faut nous emparer
De ces gens, les défigurer,
Ce qu'il ont de trop le leur prendre,
Et s'ils sont mécontents, les pendre !
- Mes amis, gardez-vous-en bien.
Dit le sage, et sachez vous taire !
Je vais…., mais vous n'en direz rien !
Vous révéler un grand mystère.
Nous devons vivre plusieurs fois,
Et tout marche par balançoire :
Les plus gueux deviendront des rois ;
Les plus blancs auront la peau noire ;
Les sots doivent régir un jour le genre humain
Par leur sublime intelligence.
Il ne faut pour cela qu'un peu de patience :
Jusqu'à la mort, qui vient bien plus tôt qu'on ne pense,
Qui viendra peut-être demain.
A cette amusante merveille
Tous mes sous prêtèrent l'oreille,
Et chacun d'eux fut enchanté
De sa laideur, de sa misère.
C'était pour l'avenir une excellente affaire,
Et les honnêtes gens furent en sûreté.

Tout est perdu si l'univers oublie
Un jour cette grande leçon.
Le vulgaire jamais n'entendra la raison ;
Pour les guérir d'une folie,
Il faut les rendre fous, mais d'une autre façon.

Livre III, fable 17




Commentaires