Permettez-moi de m'emparer,
Non pour vous le ravir, mais bien pour l'admirer,
De ce Mot qui saisit, Marie, en votre Ouvrage,
Quand, de votre Pensée admonétant l'essor,
Qui l'entraîne partout, et plus loin même encor,
Vous la poussez à bout, et qu'en son fier langage,
Elle répond : « Vous avez tort ;
Vieillissez, et je serai sage ! »
Mot exquis, Mot profond, en sa simplicité,
Mot que de siècle en siècle on aurait répété,
Si Socrate ou Platon l'avait dit. Mais, qu'importe
Ou Socrate, ou Platon, ou Vous ? La Vérité,
Pour être plus tardive, en est-elle moins forte ?
Ce qui leur échappa, vous l'aurez inventé...
Que près de vous ce Mot soit mon droit de cité :
Au tribut que je vous apporte,
Je ne pouvais donner une plus belle escorte !
Un jeune Gars venait de prendre sa leçon,
Qu'il avait prise comme un Ange ;
Le Maître en convenait. Voilà que la louange
Exalte le Marmot, et Dieu sait la façon
Dont il passa du travail à la danse :
C'était de ris, de chants, de bonds, une dépense
Qu'il faisait sans compter... Son Père, gravement, -
La gravité n'est pas toujours de la sagesse, -
S'avisa de lui dire : Eh ! mais, mon cher Enfant,
Jouez donc plus modérément ;
Ce n'est pas tout d'éviter la paresse
Dans le travail ; l'excès, dans le plaisir,
Est un mal dont il faut se bien garder encore,
Et qui, souvent, hélas ! conduit au repentir...
La morale était bien sonore
Vis-à-vis d'un jeune garçon ;
Et ce lui fut, pourtant, l'occasion
De déferrer Monsieur son père :
Mais, vous disiez, fit-il, ce matin, à mon frère,
Qu'il a, même en dansant, le maintien d'un Caton ;
Que c'est un ridicule, et que les Demoiselles
Ont bien raison de se moquer de lui,
Comme de ceux qu'il prend pour ses modèles ;
Qu'on les voit arriver, en un Bal, aujourd'hui,
Tout ainsi qu'ils iraient porter un mort en terre ;
Qu'ils se font vieux avant le temps,
Et que, du vôtre, enfin, les jeunes gens
Riaient, chantaient, dansaient, tout d'une autre manière :
Pourquoi donc commander le plaisir à mon frère,
Et me le reprocher à moi ?...
Pourquoi ? C'est que, vois-tu, reprit le Père,
C'est que... -
C'est que vous restez coi,
Mon beau Prêcheur, de qui, tout père que vous êtes,
Non le sens, la raison, mais le front seul est blanc,
Et qu'aux nobles sermons qu'à vos Enfants vous faites,
La passion préside, et non le jugement...
Du plus jeune des deux le bruit vous importune ;
Quand, pour lui, du plaisir le moment est venu,
Vous voudriez le voir s'y montrer retenu
Comme un Saint, non pour lui, mais pour vous. La fortune
Que, dans le monde, on fait à votre aîné,
Pour sa froideur, vous atteint et vous blesse.
Or, fût- il, au logis, des Sages de la Grèce
Le huitième, il ne chaut, ce Sage est condamné
Par le monde et par vous ; le voilà sermonné
Sur ce qu'au Bal un Sage est une sotte espèce :
-
C'est un peu mon avis... Mais, est- il bien prudent --
Que, lorsqu'avec raison, sans doute,
Vous poussez l'un au plaisir, justement
Ce soit à l'heure même où l'autre vous écoute ?
Non... Quand, ou par humeur, ou par raisonnement,
Vous le viendrez brider en ses jeux, de vous croire
L'Espiègle fera fi, s'il a bonne mémoire ;
Et, les rôles étant tout d'un coup retournés,
Gardez que vous n'ayez du bambin par le nez !
Mais, où placer, en notre vie humaine,
Le bienheureux moment que la Sagesse amène,
Si même alors que nous portons
Fronts burinés et grisonnants mentons,
Nous raisonnons, souvent, moins bien qu'en notre enfance ?
Ah ! je crains fort que, si chacun de nous,
De sa Pensée, un jour, avisant la démence,
Contre elle étourdiment s'allait mettre en courroux,
La Maligne, pour grand que fût d'ailleurs notre âge,
Ne nous pût répondre : Tout doux ;
Vieillissez, et je serai sage !