Deux chats qui descendaient du fameux Rodilard,
et dignes tous les deux de leur noble origine,
Différaient d’embonpoint : l’un était gras à lard ;
C’était l’aîné ; sous son hermine,
D’un chanoine il avait la mine,
Tant il était dodu, potelé, frais et beau.

Le cadet n’avait que la peau
Collée à sa tranchante échine.
Cependant ce cadet, du matin jusqu’au soir,
De la cave à la gouttière
Trottait, courait, il fallait voir !
Sans en faire meilleure chère.
Enfin, un jour, au désespoir,
Il tint ce discours à son frère :
Explique-moi par quel moyen,
Passant ta vie à ne rien faire,
Moi travaillant toujours, on te nourrit si bien,
Et moi si mal. La chose est claire,
Lui répondit l’aîné : tu cours tout le logis
Pour manger rarement quelque maigre souris.
— N’est ce pas mon devoir ? — D’accord, cela peut être ;
Mais moi, je reste auprès du maître,
Je sais l’amuser par mes tours.
Admis à ses repas, sans qu’il me réprimande,
Je prends de bons morceaux et puis je les demande
En faisant patte de velours ;
Tandis que toi, pauvre imbécile,
Tu ne sais rien que le servir.
Va, le secret de réussir,
C’est d’être adroit, non d’être utile.

Livre II, fable 6




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